Union Protestante Libérale

 

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Dossiers théologiques

 


"L'actualité de la pensée protestante libérale"

Textes du colloque du 31 octobre 2009 - .

La rencontre organisée conjointement par l'Union Protestante Libérale et la paroisse Saint-Guillaume de Strasbourg dans le cadre du rassemblement "Protestants en fête" avait permis d'accueillir une centaine de personnes au Foyer Lecocq où intervenaient André GOUNELLE, (ancien doyen de la Faculté de Théologie Protestante de Montpellier, ancien président de l'association Evangile et Liberté), Ernest WINSTEIN (Président de l'Union Protestante Libérale), accueillis par Christophe KOCHER, pasteur de Saint-Guillaume.


Paroles d'accueil

du Pasteur Christophe KOCHER

Mesdames, Messieurs, chers protestants en fête, soyez les bienvenus à St-Guillaume. Soyez tout particulièrement les bienvenus, Monsieur le professeur André Gounelle, et Monsieur le pasteur Ernest Winstein, président de l'Union Protestante Libérale.

Je me réjouis de vous accueillir, en tant que pasteur de ce lieu, pour cette conférence débat autour du thème de l'actualité de la pensée protestante libérale que la paroisse de Saint-Guillaume vous propose en partenariat avec l'Union Protestante Libérale. Je me réjouis aussi d'introduire en quelques mots ce temps de conférence et d'échange.

L'actualité de la pensée libérale : il ne s'agit évidemment pas d'un hasard si cette réflexion vous est proposée ici, dans les locaux paroissiaux de Saint-Guillaume. Saint-Guillaume n'est en effet pas seulement un haut lieu culturel avec une tradition musicale bien ancrée, notamment du fait d'une acoustique exceptionnelle et d'un chœur disposant depuis fort longtemps d'une grande notoriété. Mais Saint-Guillaume représente ce que l'on pourrait qualifier de " phare du protestantisme libéral alsacien ", l'histoire de paroisse étant marquée par la théologie libérale.

Et la pensée libérale demeure vivante ici, notamment par le biais de l'Union Libérale, association proche de la paroisse organisant des rencontres et des conférences visant à la fois à stimuler un esprit ouvert et critique, et à créer des articulation entre la recherche théologique et l'actualité, la culture, les sciences.

Plus globalement, et bien que je ne sois pasteur à Saint-Guillaume que depuis 1 mois, je pense pouvoir affirmer que la tradition libérale se ressent aussi au sein de cette paroisse par un état d'esprit privilégiant les questions plutôt que les réponses, des remises en question plutôt que des vérités figées, la recherche plutôt que l'adhésion.

Nous sentons déjà dans cet état d'esprit, plus précisément, dans cette manière de vivre la foi chrétienne, toute l'actualité de la pensée libérale, une approche de la foi en phase avec le monde d'aujourd'hui, où la spiritualité évolue davantage dans une quête existentielle, dans une recherche de sens d'individus à l'esprit critique, plutôt que dans une adhésion à des vérités préfabriquées…

Bref, la pensée libérale a toute son actualité, et le professeur Gounelle nous amènera tout à l'heure à entrer dans cette approche de manière plus fondamentale.

La question de l'actualité de la pensée libérale mérite toutefois d'être posée. Cette question, j'ai été amené à me la poser souvent, et tout particulièrement depuis que j'ai postulé à Saint-Guillaume et depuis le début de mon service ici, et pour cause ! Alors que j'annonçais en Suisse mon départ pour un ministère pastoral à Saint-Guillaume de Strasbourg, j'ai eu quelques surprises. Certaines personnes ayant fait une recherche sur internet m'ont interpellé quant à l'identité libérale clairement affichée : " c'est quoi ce libéralisme ? ", " tu vas dans une Eglise libre ? ", " si tu n'es pas pasteur de l'Eglise protestante, c'est la paroisse qui te payera ton salaire ? ".

Récemment, une personne me contacte pour un baptême ; elle me dit : " on m'a conseillé de m'adresser au pasteur de Saint-Guillaume, mais je suis protestante. J'ai vu sur votre site que vous, vous êtes libéral. C'est quoi ? " De même, certaines personnes, même proches de la paroisse m'interrogent quant à cette notion de " libéralisme " qui ne leur parle pas.

Ces anecdotes peuvent nous laisser songeurs… et je ne peux que me réjouir que dans le cadre du grand rassemblement protestant que nous vivons ce week-end, il existe un lieu consacré à la pensée libérale.

Certes, mes anecdotes mettent en évidence un problème de vocabulaire… et si la pensée libérale est de mon point de vue tout à fait actuelle, la terminologie désignant cette manière de vivre la foi ne l'est apparemment pas.

Faut-il le déplorer ? Faut-il inventer un nouveau mot ? Je ne crois pas ; au contraire, il s'agit peut-être d'une chance. De manière tout à fait pragmatique, la non actualité de la terminologie suscite des interpellations et des questions, ce qui est une bonne chose.

Et plus fondamentalement, je crois que le libéralisme ne doit pas tant être une bannière qu'un état d'esprit ; j'irais même plus loin en affirmant que si la désignation " libérale " pose un problème évident de communication, c'est aussi cette difficulté précisément qui préserve la pensée libérale de se figer derrière une étiquette, et de devenir ce que justement elle ne saurait être : un corpus de doctrines auquel il faudrait adhérer, un moule au contours bien définis dans lequel il faudrait se fondre.

Christophe Kocher, pasteur de Saint-Guillaume

 

 

L'actualité de la pensée protestante libérale. Introduction.

Par Ernest Winstein, Président de l'Union Protestante Libérale.


" Je crois que Jésus n'est pas Dieu, qu'il est humain comme nous ". Cette confession de foi pourrait évidemment être la mienne. Cependant, je cite là les propos d'une dame qui m'avait écrit à la suite d'une rencontre que nous avions organisée. Elle est de confession catholique et préfère d'ailleurs l'ambiance cultuelle catholique à un certain dépouillement protestant. Mais elle a trouvé là, auprès des protestants libéraux, le lieu où elle pouvait exprimer sa pensée personnelle.
Cette confession de foi est évidemment critique par rapport au dogme trinitaire selon lequel Jésus serait d'essence divine (fils unique de Dieu). Elle caractérise ce que l'on appellera une pensée chrétienne libérale.
Ni cette dame, ni aucun d'entre nous ne prétend se placer au-dessus des dogmes ou des enseignements des Eglises. Mais l'exemple ainsi choisi montre combien ces lieux d'expression libre de la foi sont importants.

Le thème de la rencontre et du débat que nous proposons indique que nous nous situons à hauteur d'une pensée ou d'un courant de pensée, non d'une structure ecclésiale qui aurait à défendre des positions doctrinales plus ou moins définitivement arrêtées.
Un courant qui veut être au service de toute réflexion en matière religieuse. Et l'on pourrait parler sans détour de l'actualité d'une pensée chrétienne libérale, voire plus largement d'une pensée religieuse libérale. Nous nous situons bien sûr dans un cadre à coloration plutôt protestante, comme l'adjectif l'indique, puisque le protestantisme est connoté de cette réflexion libre à l'égard de dogmes. Dans ce sens une réflexion protestante est déjà une réflexion libérale.

Pour la clarté des choses, je distinguerai, même si cela paraît un peu artificiel : une libre pensée religieuse, et une pensée religieuse libérale.
- Libre pensée religieuse, parce que non soumise. Qui, souvent, a tendance à rejeter toute structure.
- Pensée libérale, parce qu'elle a des exigences de clarté, de méthode, et qu'elle porte un souci éthique, des exigences quant à notre statut d'humains insérés dans un vaste ensemble qui demande une solidarité organisée pour subsister. C'est là notre propos.

1. Exigences d'une pensée chrétienne libérale

En parlant de pensée libérale, nous soulignons donc que cette pensée ne se confond pas avec une sorte de moralité débridée et anarchique, mais qu'elle requiert :
- l'appel à l'intelligence, à la mise à contribution de tout ce que les sciences nous apportent comme moyens de lecture de la société et qui sont autant d'agrégats en vue de la construction d'une terre viable. Il s'agit là d'une attitude de méthode.
- le sens de l'écoute et du dialogue - qui va de paire avec le refus de toute exclusion de l'autre. Il s'agit d'une attitude éthique.
Nous nous situons donc à l'opposé de tout fondamentalisme qui revendique la vérité pour lui-même et exclut toute autre pensée.

La base (motivation) : la foi.
Il est entendu que la base d'une pensée chrétienne libérale est la FOI. Nous l'entendons dans le sens d'une attitude de vie, une façon d'être et de vivre. Cette foi, n'ayant de réalité que dans le concret de la personne humaine.
Et, là encore, en parlant de FOI, il ne s'agit pas de principes qui seraient véhiculés à travers les temps comme des vérités définitives et immédiatement applicables, mais d'une ouverture à la vie ; CETTE OUVERTURE, en vertu de mes convictions intimes, je l'appelle " ouverture à DIEU ". - Dieu est l'objet de ma recherche, du questionnement au sujet du sens de l'existence - et là, je rejoins tout homme dans ses interrogations au sujet du pourquoi et du devenir de la vie et du monde.

Tradition et réflexion
Remarquons au passage que cette foi personnelle doit aussi beaucoup, et d'abord, à la transmission, à la tradition. Nous n'existons qu'en tant qu'êtres insérés dans des ensembles plus structurés : famille, société, église, communauté, les cercles culturels ; cette foi, la mienne, doit donc beaucoup (même lorsque la mienne en vient à s'y opposer) à la foi de ceux qui m'entourent, en particulier des acteurs de mon éducation. Si elle est une sorte de foi copiée, elle devient aussi, normalement dans une éducation qui n'enferme pas, une foi réfléchie, personnelle (cf. la réflexion d'un de mes fils qui avait alors 8 ans, à la suite de propos échangé au sujet de Jésus, et me dit : " je crois en Jésus, lui, on le voit, pas en Dieu, puisqu'on ne le voit pas ".

Les libéraux ne rejettent pas la communauté ecclésiale. Dans la multiplicité des opinions, nous partageons tous l'ouverture en direction de Dieu.
L'Union Protestante Libérale et Saint-Guillaume, tout comme " Evangile et Liberté " sur le plan francophone plus large, proposent des lieux de rencontre où ces questionnements peuvent s'exprimer, où tout un chacun est accueilli avec ses propres réflexions et se trouve libre de les formuler, d'avancer, de cheminer à l'écoute des autres.


2. Les points forts des penseurs libéraux

a) Du passé à aujourd'hui

Le courant libéral tient ses sources dans la revendication d'une pensée libre exprimée par les " Lumières " au 18è siècle.
La recherche de la vérité, plus précisément de la véracité historique a motivé largement les chercheurs, face aux textes bibliques qui posent problème à la raison. De là l'émergence du courant historique au 19è siècle.
Puis vient la recherche historico-critique - qui va plus loin, analysant les textes dans leurs structures littéraires, mythiques et sur l'arrière-plan historique où ces textes sont nés. Plus récemment, l'étude de la pensée des auteurs rédacteurs et les courants de pensées dont ils sont tributaires ont permis de se rapprocher du Jésus historique et d'en cerner des aspects importants.
On évoquera des noms comme Schleiermacher, Ernest Renan, Ferdinand Buisson, Albert Schweitzer (qui souligne la difficulté d'écrire une " vie de Jésus " qui soit historiquement tenable, compte tenu du fait que les textes dont nous disposons constituent déjà une grille de lecture ; et refuse l'idée d'un sacrifice expiatoire qui serait nécessaire au salut - voir en annexe la notice sur quelques points chers à Schweitzer, notamment en ce qui concerne sa confrontation avec les sciences), Charles Wagner (qui a pu développer une théologie du " salut sans la croix ") pour ne citer que quelques uns. Les néo-libéraux au 20è siècle et les artisans de la " Formgeschichte ", (Rudolf Bultmann, qui prend aussi en compte, en tant que théologien systématisant une pensée, le questionnement philosophique de l'existentialisme) auront fait avancer considérablement l'exégèse biblique en appliquant les méthodes d'analyse historico-critique, usuellement utilisées pour l'analyse des textes anciens.
Nous devons beaucoup, en ces temps plus récents aux théologiens qui ont animé et continuent d'animer le courant libéral, comme André Gounelle, Laurent Gagnebin et bien d'autres.

b) Quelques réflexions sur l'actualité de la pensée libérale

Aujourd'hui, nous constatons que la liberté d'expression et de foi revendiquée au 18è et 19è siècle porte ses fruits. Les connaissances au sujet de la formation et donc de la compréhension des textes bibliques ont considérablement progressé. L'homme Jésus de Nazareth nous est devenu plus proche, plus accessible dans son humanité.
Certes, ces données ne sont pas suffisamment exploitées. On accepte le travail des chercheurs, mais on rechigne à en appliquer les conclusions. On s'approche aujourd'hui mieux que jamais de l'homme historique Jésus et l'on continue à le confesser comme étant de pure divinité !
Les libéraux se doivent d'encourager à formuler des positions qui demandent du courage et en appellent à l'honnêteté intellectuelle.

Aujourd'hui encore, les libéraux se doivent d'être ouverts aux grands faits de société qui interpellent des croyants, notamment les mutations dangereuses du monde - une économie qui tend à tout niveler sur le plan mondial, le rythme du travail avec ses effets destructeurs sur la santé, pour ne citer que quelques exemples.

Enfin la pensée libérale en appelle à confronter les convictions avec les sciences qui interpellent les chrétiens, par exemple sur la question de la création (nous reprendrons cette question dans un colloque au cours de l'année 2010), c'est-à-dire aussi sur la question de Dieu. L'image même de Dieu change.
Voilà quelques pistes. A vous de serrer au plus près les questions qui se posent et qui méritent d'être reprises dans nos rencontres, nos publications, nos échanges organisés ou informels. Ou que nous continuerons à porter, tout en essayant de transcrire au quotidien de nos vies nos espérances, en dépit de ce qui porte atteinte à l'épanouissement de la vie, de nos vies, le mal et la souffrance.

Conclusion

1. A l'aide des recherches théologiques qui ne doivent pas être remisées dans les archives des Facultés de théologie, mais utilisées au quotidien du travail biblique, exégétique, retrouvons l'homme Jésus, les raisons de ses engagements. Ouvrons-nous aux exigences éthiques qui étaient les siennes. Et nous serons proches de Dieu comme il l'a été.

2. Lorsque nous posons la question du sens de l'existence (" pourquoi sommes-nous là ?"), laissons notre intelligence répondre que le hasard ne fait pas tout, que le fait d' " être là " énonce notre lien avec l'univers, avec la lumière ou cette puissance que nous appelons le divin. Et nous voilà articulés avec le divin : cette Lumière est constitutive de notre être et cette parcelle de lumière divine qui est en nous ne peut se perdre.

3. Notre foi nous aide à construire un lendemain pour nos enfants et successeurs. Luttons contre la tentation de mettre l'intelligence au service de la destruction, de la déshumanisation.
Faisons tomber les façades qui séparent les humains trop sûrs d'eux et de leurs convictions religieuses, économiques, pour avancer sur le terrain de la fraternité.

Les chrétiens, les Eglises, les chercheurs de vérité de toutes sortes ont besoin d'une pensée libérale suscitant des positionnements nouveaux. Que la théologie, l'Eglise, la société et tout un chacun soient interpellés, dans le sens d'un encouragement à la réflexion et une prise en compte des problèmes de société et du devenir de notre monde.

Ernest Winstein, Strasbourg, le 31 octobre 2009


Notice sur Albert Schweitzer

Albert Schweitzer met en doute l'idée de la nécessité pour le salut d'un sacrifice expiatoire de Jésus. Il critique la religion en ce qu'elle " fabrique de toutes pièces un monde où les énigmes seraient résolues " (Cf. Une pure volonté de vie, éd. Van Dieren, Paris 2002, p. 28 ; Le texte original a été publié en 1912). Il ose et encourage la confrontation de la religion et des sciences.
La rationalité ne s'oppose pas à la religion. " La religion élémentaire de la vie est purement rationnelle " (op. cit., p. 24).
" Est-ce que dans cette réflexion sur la vie, sur notre vie, n'affleurent pas, s'interroge Schweitzer, des représentations et des suppositions qui d'une manière ou d'une autre recoupent celles que l'on rencontre dans les religions historiques ?"
Plus la science s'étend et devient précise, plus elle révèle le caractère mystérieux de l'existence.
" Ce qu'est la vie, nous ne le savons seulement à partir d'une connaissance intérieure du phénomène de notre propre vie et nous transposons cette connaissance sur d'autres êtres, en supposant qu'il y a en eux une vie semblable à la nôtre (op. cit., p. 24).
" C'est la volonté qui fonde et porte la foi ; la foi est un savoir élaboré par la volonté ".
La " volonté de vie " est " la vie même qui " tend vers les formes supérieures dans la conscience et la volonté (op. cit., pp. 27-28).
Albert Schweitzer porte le souci d'inscrire sa réflexion dans le cheminement des Eglises : " Nous considérons les Eglises comme réformables : les protestantes, parce que tel est leur principe, parce que de grands esprits peuvent y œuvrer et créer des changements " (op. cit., p. 75), mais il se méfie des " savantes discussions qui ne font que dégrader la liberté de l'esprit " (ibid).
" Il faut que notre rapport avec l'Eglise soit vécu librement, comme tous les autres rapports que nous entretenons dans le monde " (op. cit., p. 78).
EW



Le protestantisme libéral

par André GOUNELLE, ancien Doyen de la Faculté de Théologie Protestante de Montpellier, ancien Président d'Evangile et Liberté

 

Introduction

Je commence par une remarque introductive sur l'adjectif " libéral " qui, dans le contexte actuel, fait difficulté. En effet, depuis une trentaine d'années, le vocabulaire politique et économique, utilise le mot libéralisme pour désigner le " laisser faire ", le refus des réglementations, le rejet des contraintes et des contrôles, ce qui conduit, disent les adversaires du libéralisme ainsi compris, à favoriser une sorte de jungle où les plus forts écrasent les plus faibles. Mais dans la langue politique classique, libéralisme a un tout autre sens : il signifie la défense de la dignité et la promotion de la liberté de chaque être humain, à la fois contre un dirigisme ou un collectivisme despotiques et contre un " laisser faire " ou une permissivité anarchiques. L'autoritarisme et le laxisme mettent l'un et l'autre la personne en danger ; elle souffre tout autant de l'excès que de l'absence de contraintes. Le libéralisme, au sens classique, s'oppose à l'un comme à l'autre.
C'est en ce sens classique qu'on parle de " protestantisme libéral ". Il affirme que la foi est une affaire personnelle et libre; qu'il appartient à chacun de la penser et de l'exprimer à sa manière. Les disciplines, les cérémonies et les formulations ecclésiales ont de la valeur dans la mesure où elles aident les croyants (elles le font dans bien des cas), mais elles ne doivent pas devenir des fardeaux à porter ou des prisons qui enferment la pensée (ce qui arrive trop souvent). Sans cesse, il faut les réévaluer et souvent les réviser ou les réformer.

Orientations libérales

Cette précision introductive faite, je vais maintenant essayer de décrire à grands traits le protestantisme libéral. À mes yeux, il ne se caractérise pas tellement par des positions (il existe une grands diversité d'opinions et de tendances parmi les libéraux) que par des préoccupations et des orientations communes, dont il essaie de débattre aussi fraternellement que possible avec tous les chrétiens, y compris ceux qui ne sont pas libéraux. Le dialogue à l'intérieur de l'église mais aussi au dehors, avec ceux qui ne se réclament pas de Jésus Christ ou de l'évangile, lui paraît essentiel.
Je vais indiquer cinq grandes préoccupations et orientations qui me paraissent importantes.

Foi et réflexion

Première préoccupation : comprendre ce que l'on croit ; le protestantisme libéral souhaite un foi réfléchie ou une réflexion croyante.
Ce souhait ne va pas de soi. Pour beaucoup, la foi implique une rupture avec les logiques humaines, un saut dans l'irrationnel, l'acceptation de mystères inexplicables. Une célèbre formule de Pascal oppose le " Dieu d'Abraham, Dieu d'Isaac, Dieu de Jacob " au Dieu " des philosophes et des savants ". Dans cette perspective, certains croyants demandent à l'intelligence de se soumettre et aux fidèles de " s'abêtir ", selon un mot terrible du même Pascal. Ils ont fait l'éloge de la " sainte ignorance " et de la " foi du charbonnier ". La ferveur leur paraît préférable à la pensée.
Le protestantisme libéral se soucie au contraire de jeter des ponts qui mettent en relation la foi avec la pensée et les connaissances humaines. Il ne nie pas qu'il y ait du mystère et ne prétend pas que tout soit compréhensible. Néanmoins, sans confondre la foi et la raison, il cherche à les faire converger et se rencontrer. Comme l'écrit Paul Tillich : " Contre Pascal, je dis : le Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob, et le Dieu des philosophes est le même Dieu. "
Albert Schweitzer illustre bien cette première orientation. Il souligne que la religion a besoin de la pensée pour ne pas s'égarer ni se rabougrir. La spiritualité trouve dans la réflexion une alliée précieuse, voire indispensable et non une ennemie. La raison bien conduite reconnaît que quantité de choses lui échappent. Elle accepte ses propres limites et admet l'existence de dimensions qui la dépassent. Elle renonce à tout impérialisme. En même temps, elle entretient un esprit de critique et d'ouverture. Elle empêche de croire, de dire ou de faire n'importe quoi.
Jésus nous demande d'aimer Dieu non seulement de tout notre cœur et de toutes nos forces, mais aussi de toute notre pensée. Loin d'affaiblir et de menacer la foi, la réflexion l'approfondit et la consolide. Elle constitue la meilleure défense contre les extrémismes et les fanatismes qui guettent et menacent toujours la religion.

Une lecture informée et savante de la Bible

Deuxième préoccupation, celle d'une lecture informée et savante de la Bible. Longtemps, sans se demander d'où elle vient ni comment elle nous est parvenue, les chrétiens ont vu dans la Bible un livre homogène, au texte certain, clair, transparent, ayant un caractère sacré et revêtu d'une autorité surnaturelle et absolue. Implicitement, parfois explicitement, on considérait que Dieu l'avait directement dictée et en était le véritable auteur. Le travail des historiens, depuis deux siècles, a fait découvrir qu'elle est l'œuvre d'individus, de groupes et de communautés ; elle exprime leurs expériences, leurs sensibilités, leurs conceptions, voire leurs superstitions ; elle est diverse, parfois contradictoire et souvent énigmatique.
Quand on voit dans le recueil biblique non plus une révélation divine infaillible, mais un témoignage humain imparfait rendu à une authentique expérience spirituelle de rencontre avec Dieu, la lecture qu'on en fait devient critique. Critiquer ne veut pas dire nier ou détruire, mais opérer un discernement. La critique biblique s'efforce de distinguer le message qui est proclamé du langage qui l'exprime. Bien des pages de l'Ancien et du Nouveau Testament sont des contes, des fables, des légendes ou des mythes. Cela ne veut pas dire que ces pages ne valent rien, qu'elles sont bonnes à jeter, mais qu'on doit les lire non pas comme des récits historiques ou des comptes-rendus scientifiques, mais comme des paraboles. Personne ne se demande s'il y a eu vraiment un jour un bon samaritain qui s'est occupé d'un blessé sur la route de Jéricho à Jérusalem ; que l'histoire du fils prodigue soit une invention ou qu'elle se soit effectivement passée n'a aucune importance. Seul compte le message que Jésus nous délivre en racontant ces histoires. Il en va de même pour les textes qui parlent de la création du monde ou de la naissance de Jésus : il faut les lire, les recevoir, les comprendre comme des paraboles qui ne relatent pas des faits arrivés, mais qui délivrent un enseignement ou un message sous la forme imagée d'un récit.
Cette lecture critique de la Bible en détruit-elle l'autorité et ébranle-t-elle la foi ? Le protestantisme libéral ne le pense pas. En fait, ceux qu'on appelle des " créationnistes " parce qu'ils défendent une lecture littérale du premier chapitre de la Genèse, quelle que soient leur ferveur et leur sincérité, je ne les met pas en doute, ne nuisent-ils pas plus au christianisme et ne rendent-ils pas plus fragile la foi que ceux qui y voient des mythes à interpréter ? La lecture critique, dans un premier temps, secoue beaucoup de gens, c'et vrai ; mais, le choc une fois passé, on s'aperçoit vite qu'elle enrichit et approfondit notre compréhension de la Bible, Loin de nuire à son autorité, elle la sert en montrant le sens exact et la valeur juste de ce qu'elle apporte. Elle nous fait passer d'une lecture passive à une lecture active qui nous met sans cesse en quête du sens.

La nature de la doctrine

Troisième type de préoccupation et d'interrogation : l'autorité à accorder aux grandes doctrines chrétiennes, la nature des affirmations religieuses que les églises considèrent comme fondamentales et qui, pour elles, définissent la vérité.
Pendant longtemps a dominé une conception " objective " (on dit aussi " réaliste ") de la vérité qui la définit par la correspondance exacte entre le discours et la chose dont il parle. Un discours juste reflète la réalité comme un miroir ou la représente comme une photographie. Une affirmation est vraie quand elle décrit son objet tel qu'il est en lui-même. Les églises, les protestantes et la catholique, ont alors la conviction plus ou moins forte que leurs dogmes définissent exactement la nature profonde, l'essence intime ou la substance même de Dieu. Le croyant doit donc accepter ces dogmes avec soumission, sans rien y changer. S'il les comprend, tant mieux. S'ils lui sont inintelligibles, qu'il se soumette, mais qu'il n'essaie pas de les discuter ou de les modifier. La vérité ne dépend pas du sujet.
À la suite de Kant, la réflexion philosophique opère un renversement : elle souligne que notre description et notre analyse des objets dépendent tout autant de ce que nous sommes que de ce qu'ils sont. Avec des yeux différents, nous les verrions autrement. Nous les percevons à travers les " lunettes " de notre esprit qui tiennent à la constitution de notre être. Notre discours ne parle pas des choses telles qu'elles sont en elles-mêmes, mais telles qu'elles nous apparaissent en fonction de ce que nous sommes et de la situation où nous nous trouvons. Nous n'avons accès qu'à des vérités relatives, relatives autrement dit relationnelles. Elles naissent de la rencontre et de l'interaction entre un sujet connaissant et un objet connu, et le premier y joue un rôle au moins aussi important que le second.
Ce qui va conduire dans le domaine religieux à estimer que nos doctrines ne parlent pas de l'être de Dieu tel qu'il est en lui-même, mais de la manière dont il nous touche, nous atteint et s'inscrit dans notre existence. Du coup, quand l'expérience et la pensée des hommes se modifient, les doctrines doivent se transformer. Par exemple, lorsque les conciles des quatrième et cinquième siècles rédigent les doctrines trinitaire et christologique, ils utilisent les notions et concepts de la pensée hellénistique (en particulier du néoplatonisme). Ils ne disent pas la même chose que la philosophie de leur temps, mais ils en reprennent le vocabulaire et s'occupent de la " substance ", de la " nature " et des " instances " de Dieu. Ce langage date, nous ne le comprenons plus guère et il ne correspond plus à la pensée de notre époque. Au lieu de maintenir les formules anciennes, il convient d'en trouver de nouvelles, mieux adaptées à notre contexte, en sachant qu'elles seront, à leur tour, critiquées et révisées.
Selon l'orthodoxie chrétienne, les dogmes sont des énoncés absolus et définitifs. Ils sont vrais en eux-mêmes et leur valeur ne dépend pas de celui qui les énonce, de son langage, de sa culture, des événements et des situations. La théologie libérale, au contraire, ne voit pas dans les dogmes des vérités absolues qu'il faut nécessairement croire qu'on les comprenne ou non. Pour eux, la doctrine tente de penser de manière cohérente ce qu'on croit, elle donne une formulation réfléchie à ce qu'on vit dans l'expérience croyante. La doctrine n'est pas un objet de foi, elle est une expression relative de la foi ; elle ne dit pas ce qu'est Dieu, mais comment il nous atteint, comment nous le percevons. Et il faut accepter que cette perception change selon les époques, selon les personnes, selon leurs expériences et aussi selon le moment de leur vie.
Je vais me servir d'une comparaison pour éclairer ce point. Prenons des cartes de géographie. On en a besoin pour se situer et s'orienter, mais aucune n'est totalement juste, parce qu'elles figurent toutes une sphère, le globe terrestre, sur une surface plane. À la fois, elles traduisent et déforment la réalité qu'elles veulent représenter. De plus, une carte répond à un besoin, pas à d'autres : celle qui permet de préparer un voyage en auto ne peut pas servir à étudier l'économie d'un pays ou à déterminer le site d'atterrissage d'un vaisseau spatial. Quand on utilise une carte pour autre chose que ce pour quoi elle est faite, ou dans une autre situation que celle qu'on avait prévue en l'établissant, elle risque d'égarer. De plus, un pays change : des routes se créent, des villes se développent ; l'érosion, le réchauffement climatique, parfois des tremblements de terre modifient le paysage ; sans cesse on actualise les cartes et on les adapte au service qu'on en attend. Il en va de même des doctrines. Ce qu'elles affirment est juste, mais seulement jusqu'à un certain point et dans un cadre limité. Il faut avoir conscience de leur relativité, sans tomber dans le scepticisme. Elles expriment plus ou moins bien, sans jamais le faire parfaitement une vérité ou une réalité.

L'attention aux personnes

Quatrième préoccupation : l'attention à la personne dans son individualité, le respect des cheminements spirituels propres à chacun. Il y a dans le libéralisme une insistance sur l'existentiel et le vécu qui relègue au second plan les systèmes doctrinaux et les appareils ecclésiaux. Les fidèles ne sont pas au service de la doctrine et des églises et n'ont pas à s'y soumettre ; au contraire, les églises et les doctrines sont au service des fidèles, et doivent s'adapter à leurs besoins. L'église n'a pas à dicter à ses membres leurs croyances et leurs attitudes, à leur imposer une dogmatique ou une morale. Elle a pour rôle de les aider à s'informer, à réfléchir, à se forger des convictions personnelles.
Cette insistance sur le vécu a pour conséquence le refus de condamner et de rejeter ceux dont on ne partage pas les options, même si on a le sentiment qu'ils se trompent gravement. On peut et on doit discuter avec eux, essayer de leur expliquer et de les convaincre. On n'a pas le droit de leur imposer silence, de les obliger à se soumettre ou de les traiter avec dédain. Le respect de l'autre demande qu'on accepte la différence et la divergence. Là où l'erreur n'est pas libre, disait Alexandre Vinet, la vérité ne l'est pas non plus. C'est pourquoi les groupes libéraux sont en général pluralistes ; on y admet des positions et des attitudes très diverses, à condition qu'elles acceptent de s'écouter et de dialoguer.
L'importance donnée aux individus ne se confond pas avec le repli individualiste sur soi ; il s'accompagne d'un souci des autres et d'une insistance sur la responsabilité éthique. Ici également, Schweitzer est emblématique : il nourrit une mystique personnelle indépendante et profonde, il n'est pas prisonnier des conformismes ecclésiaux ni soumis aux autorités ecclésiales, même s'il ne rejette pas les églises et leur est même attaché ; il a une totale liberté doctrinale, qui va parfois très loin ; il se montre par exemple très audacieux dans le cours qui a été publié sous le titre " une pure volonté de vie ", dont j'ai parlé en 2005 au colloque organisé à l'université Marc Bloch par notre regretté ami Bernard Kaempf. Ce n'est pas malgré son individualisme, mais parce qu'il est un individualiste que Schweitzer a un sens très exigeant de sa responsabilité envers les autres. Il ne se décharge pas du soin d'autrui sur des organismes sociaux, sur des commissions, sur des spécialistes. Il s'engage personnellement. La misère du monde, c'est son affaire, c'est l'affaire de chacun de nous et il faut s'en occuper. Croire implique qu'on pense, qu'on réfléchisse et aussi qu'on agisse et s'engage. La foi est indissociablement une mystique (une expérience spirituelle) et une éthique, comme le souligne souvent Schweitzer. Un individualisme authentique a toujours une dimension communautaire.

L'ouverture aux non chrétiens

Cinquième et dernière préoccupation : l'ouverture aux non chrétiens, le souci de dialoguer avec eux.
Les non chrétiens, ce sont d'abord les athées. Le protestantisme libéral a beaucoup dialogué avec les libres penseurs à la fin du dix-neuvième et au début du vingtième siècle. Nous en avons un exemple avec Charles Wagner, un alsacien installé à Paris, qui s'est efforcé dans des textes écrits pour l'école laïque de formuler le message évangélique dans un langage non religieux ; Schweitzer a aussi traduit le message de l'évangile dans un vocabulaire non ecclésial en parlant de " respect de la vie ". Autre exemple : le travail de Laurent Gagnebin sur grands auteurs athées de la seconde moitié du vingtième siècle. Le titre qu'il a donné à la réédition récente de ses livres " l'athéisme nous interroge " est significatif : il ne s'agit pas d'interroger l'athéisme, mais de l'écouter, de se laisser interpeller par lui, car ce qu'il dit nous permet de percevoir nos manques, nos insuffisances, nos défauts. Ouverture aux autres, parce que les autres ont des choses à nous dire et à nous apprendre, tout autant qu'ils en ont à recevoir de nous.
Les non chrétiens, ce sont aussi les fidèles des autres religions. Le christianisme classique, à quelques exceptions près, a condamné sévèrement les religions non chrétiennes. Il a affirmé qu'il y a une seule révélation, celle dont témoigne la Bible. Ce qu'on rencontre ailleurs est faux, mensonger, peut-être diabolique. On a longtemps appelé " infidèles " (au sens d'étrangers à la foi véritable) les bouddhistes, les hindouistes, les musulmans, etc.
De nombreux libéraux, au contraire, pensent que Dieu agit et se manifeste partout dans le monde, et qu'on trouve en dehors du judéo-christianisme d'authentiques valeurs spirituelles. Des théologiens libéraux, tels que Troeltsch, Schweitzer, Tillich, Hick, Cobb, se sont préoccupés du dialogue interreligieux. Souvent, on leur a reproché cette ouverture dont on craignait qu'elle ne les conduise à abandonner ou à atténuer l'exclusivité de l'évangile. Mais qu'il soit pour nous la référence privilégiée et la norme suprême, nous oblige-t-il à mépriser et à écarter les spiritualités non chrétiennes ? Devons-nous au nom de l'évangile récuser Gandhi ou le dalaï-lama, condamner le soufisme, et juger impies ou idolâtres les grands spirituels de l'Inde ou de la Chine ? Beaucoup de protestants libéraux estiment que si les chrétiens ont des choses à apporter aux autres, ils en ont aussi à recevoir d'eux. Cette attitude, naguère minoritaire, tend aujourd'hui à se généraliser. Actuellement, toutes les églises se demandent quelle signification donner, quelle valeur accorder aux autres religions, et quelles relations établir avec elles.

Conclusion

Voilà les cinq thèmes que j'ai choisis pour caractériser le protestantisme libéral. Je conclus par une remarque que j'entends souvent. Si le protestantisme libéral, nous dit-on, a mené naguère des combats nécessaires, il n'a plus aujourd'hui grand sens, il a perdu sa raison d'être parce qu'il enfonce des portes largement ouvertes. La grande majorité des chrétiens ne partagent-ils pas les préoccupations et orientations que je viens de définir, alors qu'ils ne se considèrent nullement comme libéraux?
Cette remarque ne manque pas de pertinence et de justesse. On rencontre beaucoup de libéraux qui s'ignorent, voire qui refusent cette étiquette. Dans les Églises, les idées libérales ont largement fait leur chemin, se sont en grande partie imposées. Dans aucune Faculté de Théologie, par exemple, on ne conteste actuellement la nécessité d'une critique historique de la Bible. Toutes les grandes Églises s'interrogent sur les possibles révision de leurs doctrines, et s'intéressent au dialogue entre religions. Un orthodoxe du dix-neuvième siècle qui reviendrait parmi nous estimerait probablement que le libéralisme a triomphé dans le protestantisme et s'est largement répandu dans le catholicisme.
Toutefois, deux remarques viennent nuancer ce constat, et conduisent à affirmer que le libéralisme a encore un rôle à jouer, une mission à remplir.
- D'abord, diffuser des idées, entretenir des débats, maintenir une attitude d'ouverture est une tâche qui n'est jamais achevée; chaque époque doit la reprendre. Si certaines des idées du protestantisme libéral se sont répandues, au point qu'on considère qu'elles ne lui appartiennent plus, tant mieux. Il n'en demeure pas moins qu'elles sont toujours menacées, et qu'il faut les cultiver. On n'est pas libéral une fois pour toutes; on le devient à chaque instant par un effort et une vigilance toujours à renouveler.
Ensuite, dans le monde chrétien, de courants anti-libéraux se manifestent fortement et on a même parfois l'impression qu'après avoir été affaiblis, ils reprennent aujourd'hui de la vigueur. Ainsi, on assiste à une montée du créationnisme aux Etats-Unis, au développement d'Églises et de mouvements à tendance fondamentaliste un peu partout dans le monde ; on a le sentiment que Rome, malgré l'ouverture de certains catholiques, favorise à nouveau un doctrinarisme rigide, que dans les pays orthodoxes il y a un grand attrait pour l'obscurantisme. À la conférences des Églises d'Europe, au Conseil Œcuménique des Églises, on est plutôt mal reçu si on critique, par exemple, le dogme trinitaire, si on y voit une expression discutable et relative, et non le fondement de la foi chrétienne.
Aussi, le combat du protestantisme libéral me semble ne rien avoir perdu de sa nécessité et de son actualité. Ce combat ne me paraît pas plus difficile qu'autrefois et naguère. Il s'agit de lutter contre l'autoritarisme religieux (y compris contre le nôtre), de se battre pour maintenir l'ouverture et la recherche en dépit du confort des idées toutes faites. Je parle de combat ; je précise qu'il ne s'agit pas de susciter des luttes et d'entretenir des polémiques, mais de maintenir une réflexion, de participer à des débats qu'on souhaite fraternels, même avec des adversaires dont on peut comprendre les craintes et écouter les critiques. Le protestantisme libéral ne se considère pas comme un but, mais comme un moyen, un instrument au service des hommes de bonne volonté, libres penseurs ou libres croyants. Il ne prétend pas les enrégimenter sous sa bannière, mais dialoguer avec eux, les aider dans la mesure de ses possibilités, et aussi recevoir et apprendre d'eux.

André Gounelle, le 31 octobre 2009

 

A propos de " l'humanité de Jésus "

 

Approcher l'humanité de Jésus libère la parole

L'importante participation à notre colloque sur " l'humanité de Jésus " (19-20 mars 2008), organisé conjointement par l'Union protestante Libérale, Evangile et Liberté et la paroisse Saint-Guillaume, a montré combien l'intérêt pour l'homme Jésus est vif.
La thématique a trouvé des échos, bien au-delà du cercle des participants, et jusqu'en Suisse, à Luxembourg, en Belgique, à La Réunion. Le débat ainsi ouvert a permis à certains d'exprimer leur propre questionnement, de nous livrer leurs pensées et interrogations. Nous aurons sans doute contribué à une sorte de " libération " que d'autres attendent sans trop oser l'espérer…

Décaper patiemment le vernis du dogme

Une correspondante nous écrit avoir découvert, il y a peu de temps, le site de Théolib, en même temps que plusieurs livres d'André Gounelle qui l' " ont réellement réveillée et secouée ". C'était, pour elle, le moment d'ouvrir tout un questionnement et de constater :
" Tout cela m'a permis - me permet - de décaper patiemment une sorte de vernis dont je n'avais pas conscience. . Oser questionner le dogme, la tradition, mon rapport à la tradition, je l'ai toujours fait " à voix basse " : j'ai longtemps fait partie de ces rebelles tièdes qui se taisent pendant que l'assemblée récite le "credo" ! Oser explorer d'autres manières de faire, de dire, questionner mes représentations, et celles des autres religions, j'apprends à le faire maintenant " à haute voix ".

" La remise en route d'un questionnement théologique… m'a permis de me dégager de certaines loyautés (le " religieusement correct "). Je ne me souviens pas avoir entendu discuter la divinité de Jésus, la question trinitaire, ni réfléchi au(x) sens du " mort pour nous " et ni du sacrifice, ni de la résurrection : et pourtant cela me paraît aujourd'hui fondamental ! Peut-être n'ai-je pas su entendre le discours : il m'aurait trop déstabilisée ? Possible ! Toujours est-il que là où je suis maintenant, les réponses toutes faites ne me conviennent plus.
Questionner, pour moi, ce n'est pas démonter mais plutôt explorer : les textes bibliques, la tradition et mon rapport à l'histoire, les contextes, confronter des représentations et notre expérience (s) de Dieu... Tout passe par le lien, le partage, l'échange.
Une des questions qui surgit aussi, c'est le " et alors ? " Des choses changent pour moi, mais ensuite ? J'en fais quoi, je vis ça comment, au niveau de ma paroisse, de ma communauté ?"

Et c'est là que l'on se rend compte que l'important pour chacun, n'est pas de vivre ce que dit l'Eglise (quelle qu'elle soit) mais de vivre notre foi, cette foi qui n'est jamais acquise, qui n'a de réalité que vécue et prend corps à travers nous.
Notre correspondante pose justement la question de savoir si, " dans le fond, une communauté est vraiment nécessaire ? ", " et sous quelle forme ? "

Oser réfléchir librement permet aussi de tisser des réseaux

Constatons que, dès lors qu'une réflexion s'engage, une forme de communauté naît. Cette réflexion n'est possible qu'à partir d'expressions de la foi qui naissent elles-mêmes à partir d'un " partage de foi " ou de telle ou telle forme de vie ou activité ecclésiale. Dans ce sens, une structure ecclésiale classique, institutionnelle, sera utile. Mais ne sera pas d'une impérieuse nécessité. En effet, il est plus important que nous donnions forme aux vérités découvertes, que nous transcrivions au quotidien nos choix que le cheminement, la réflexion, le libre débat auront permis de profiler ou de préciser.
On pourra dire que ces lieux de libre-débat, - proposés par exemple par l'Union Protestante Libérale et d'autres organisations proches comme Evangile et Liberté, Théolib, etc, favorisent, implicitement ou explicitement, l'émergence de réseaux qui sont autant de lieux d'église - ceux-ci ne vont pas à l'encontre des Eglises-institutions, mais les complètent, les interpellent, donc les stimulent !
Dans ces réseaux peut s'exprimer ce qu'une participante à notre colloque appelle l' " amour de Jésus " - elle le dira sous forme d'une interpellation qui, forcément, nous touche : " vous n'aimez pas Jésus comme Schweitzer l'a aimé " ! Honnêtement, en dépouillant notre approche de toutes ces grilles de lecture qui ont été longtemps imposées, et qu'on a longtemps imposées, nous nous sentirons certainement très proches de lui, Jésus. Nous nous sentirons proches de l'homme, de sa foi, de son engagement. Comment l'aimer plus?!

Ernest Winstein

Les textes du Colloque du 29-30 mars 2008 à Strasbourg sont publiés dans le recueil "L'humanité de Jésus" (En vente à la Librairie Oberlin 22 Rue de la Division Leclerc 67000 Strasbourg, Tél. 03 88 32 45 83, coût 8€ + frais d'envoi. Il peut aussi être demandé au siège de l'UPL). Contributions de :
Ernest WINSTEIN, "Jésus a-t-il promulgué une nouvelle loi ? L'homme Jésus sur l'arrière-plan du Judaïsme de son époque" ; Jean-Paul SORG, " Jésus vu par Albert Schweitzer ", André GOUNELLE, " Le Christ, être nouveau ", " la résurrection ", " la foi et la vie chrétienne ", Frédéric ROGNON, " Jésus postmoderne ?".

Les réflexions et recherches des chercheurs et penseurs contemporains nous permettent d'approcher, même si l'entreprise est difficile, la personne du Jésus historique, de mieux saisir l'engagement concret du maître de Nazareth auprès de son peuple et, donc, d'être interpellés par lui quant à notre engagement dans le monde d'aujourd'hui. Bénéfique retour aux sources pour qui ose déposer quelques a priori ou formules traditionnelles sur le " sauveur ", le " rédempteur ", le " fils de Dieu",...).

 

La croix en appelle à la vie

Par Ernest Winstein

Prédication prononcée le Vendredi-Saint 21 mars 2008 à Saint-Guillaume sur le texte d'Esaïe 53 (le serviteur souffrant) en liaison avec les textes sur la crucifixion de Jésus

Thème : L'homme souffrant est un témoin de la vie et non l'objet d'un projet de mise à mort d'un père-dieu. Le projet de Dieu continue. Il est projet de vie, non de mort.


Au long des meetings publics ou sur les écrans de télévision, les candidats aux élections ont professé leur " foi " - leur foi politique, certes. Une profession de foi, c'est ainsi que l'on appelle, en effet, les déclarations déposées dans nos boîtes aux lettres, exprimant les projets ou programmes proposés par les candidats et pour lesquels ceux-ci sollicitent l'adhésion des électeurs.
Le public, à quelques exceptions près, avait déjà fait son choix. Alors, il compte les coups, applaudit, siffle, parfois même hurle.
Les supporters témoignent - de leurs candidats, de la valeur de leur personne - ils disent pourquoi ils ont foi - foi en… la foi de leurs candidats.

L'ambiance est somme toute assez semblable à Jérusalem, avant l'exécution de Jésus dont nous nous souvenons tout particulièrement le vendredi-saint.
Le climat est tendu. Il y a les " pour " et les " contre ". Ils sont côte à côte, se frottent entre eux, crient, " témoignent "!

On sait combien les supporters enthousiastes sont encore plus enthousiastes lorsqu'ils sentent la victoire de leur chef de file.
On sait comment la ferveur peut tomber et que certains même sont capables de retourner allègrement leur veste : Jésus a pu se demander jusqu'où allait la foi de certains de ses disciples… Leur enthousiasme est vite retombé. Rapidement, ils sont terrassés. Certains supporters se seront laissé manipuler à témoigner contre Jésus - on sait que les grands-prêtres ont eu recours à de faux témoins.

Et nous en sommes là, en ce vendredi-saint à nous dire touchés par l'humanité de l'homme affirmée jusqu'à la souffrance. Nous ressentons l'engrenage de la situation, nous palpons la difficulté de certains témoins de l'époque à s'y retrouver.
C'est pourtant " avec foi " que nous venons " témoigner " de cet homme de Nazareth. C'est en tant que ses témoins que nous venons nous mettre sous la croix…

Nous témoignons de la belle humanité que l'homme Jésus exprime : il est fidèle à l'homme, parce qu'il est fidèle à Dieu ; il est fidèle à Dieu tout en étant fidèle - proche- de l'homme. Cette foi qui lui a coûté cher. Comme à l'homme de douleur dont témoigne Esaïe au chapitre 53.

Le serviteur souffrant, en effet, avait tenu bon la barre, ne s'était pas laissé impressionner par les railleries de ceux qui cherchaient à le déstabiliser dans sa fidélité au Dieu unique, en cet environnement hostile de la déportation babylonienne.

A. L'homme de douleur d'Esaïe 53 (déporté à Babylone)

Quelques six siècles avant Jésus, sur les rives de Babylone, un homme reste debout. Debout au sens moral du terme. Il demeure intègre. Il résiste aux tentations de se rallier à la religion de ceux qui l'avaient déporté de Jérusalem avec d'autres compatriotes. Il confesse que son Dieu est un Dieu de liberté.

Nombreux auront été ceux qui, par lassitude, ou par intérêt, s'étaient laissé aller à la dérive quant à leur foi au Dieu unique auquel croyaient leurs pères.
Le témoin dont parle Esaïe résiste. Autour de lui, des gens prennent leur distance. D'autres compatissent, mais ne peuvent pas grand-chose - le rédacteur qui rapporte ce célèbre texte et se fait témoin de l'homme, " l'homme de douleur ", le " Serviteur souffrant ", en est, peut-être.

Très vite ce témoin sans nom - mais n'est-il pas censé représenter le peuple ? - s'est retrouvé seul. Seul à dire. Seul à respecter Dieu. Seul à croire que Dieu ne les avait pas abandonnés là, sur les rives de Babylone.
Il n'est pas facile d'accepter la réalité des choses. Ni la solitude. L'homme souffre de sévices, qui l'ont peut-être mené jusqu'à la mort.
C'est ainsi qu'il devient témoin. Une lumière pour les autres. Un phare même.

Les " autres " comprennent qu'au fond, c'est eux tous qui auraient dû tenir bon !
Alors, n'est-il pas allé, lui, à la place des autres… ?
Par son témoignage, il a signifié croire à la présence de Dieu, même alors que tout portait à croire que ce Dieu l'avait abandonné.


B. Jésus, le messie souffrant.

Très vite, dans les premiers temps de l'église, on a eu recours à ce portrait du serviteur souffrant d'Esaïe 53 pour expliquer que Jésus a continué à tenir le cap, alors même qu'il sentait monter les difficultés face au projet messianique. A l'aide de cet archétype du serviteur souffrant, une partie du christianisme ancien, va interpréter la mort de Jésus.

Certes, Jésus est l'homme, justement l'homme, non pas un petit dieu à côté du grand, qui subit le procès et l'exécution.
Certes aussi, et je tiens à le souligner, il n'est pas - pour moi en tout cas - celui qui va vers la mort, consciemment, et dans la pure obéissance.

Il est bien plutôt ce témoin de Dieu qui, comme le serviteur souffrant, reste debout.
Jusqu'à endurer les plus cruelles souffrances.

Mais son projet n'était pas la croix. Son projet était un projet de vie pour son peuple ; un projet de rétablissement de ce peuple dans la dignité et dans la justice enseignée par Dieu lui-même.
Il s'agit d'un projet messianique et, donc un projet " politique ". Ce rôle de messie qu'il s'apprête à endosser est bien une mission royale, donc humaine - pour laquelle certes, l'homme Jésus se sent appelé, investi, " oint " par Dieu (un " christ " est oint, au sens symbolique du terme, choisi, institué pour une mission précise)

Nous ne donnerons donc pas dans une belle théologie sacrificielle qui consisterait à transférer notre culpabilité sur une brebis humaine offerte en sacrifice. Nous n'encouragerons pas à nous débarrasser de cette culpabilité à l'aide de quelques broutilles de confession des péchés dites du bout des lèvres ou de façon purement liturgique.

Le sacrifice n'a-t-il pas pour rôle de délester la conscience humaine ? Et d'être à nouveau bien vu par Dieu !
L'être humain sait que sa vie comporte des ratés, que certains actes sont, en toute logique, " punissables ". Le sentiment de culpabilité, souvent, le fige, l'empêche de développer un comportement positif. Pour se débarrasser de sa culpabilité, il cherche à la transférer. C'est le rôle du bouc émissaire que de devenir porteur de culpabilité. C'est ainsi que la religion chrétienne naissante interprète la mort de Jésus comme un sacrifice. L'homme Jésus devient l'agneau expiatoire - celui que l'on sacrifiait lors du repas pascal commémorant la sortie d'Egypte et célébrant la libération du peuple d'Israël.
Le bouc émissaire devient porteur du péché de ceux qui se sont sali les mains. Mais aussi de ceux qui ont simplement regardé, coupables de n'avoir rien fait. Voire de n'avoir rien pu faire. Et puis, progressivement, le bouc émissaire devient porteur d'autres péchés, on élargit la gamme, à toutes ces autres petites et grandes culpabilités que tout un chacun peut traîner avec lui !


C. Porter le regard au-delà de la mort

Dieu n'a pas voulu la mort de son serviteur !!
Esaïe rappelle clairement que le "serviteur" a affronté les difficultés. Nulle part il est dit qu'il est sacrifié par Dieu. La vérité n'est pas masquée, trafiquée. Le " serviteur " n'est pas sacrifié par Dieu, mais il est la victime des criminels.

Qu'en est-il de Jésus ?
Accueilli comme roi - il entre dans le rôle d'un personnage politique de premier rang.
Les annonces concernant la mort et la résurrection ne sont pas à prendre au pied de la lettre - il est à peu près sûr qu'il s'agit d'interpolations. Mais elles ont une fonction : celle d'interpréter la mort de Jésus (est-ce l'œuvre de la tradition populaire ou de " scribes " chrétiens ?) et d'encourager le lecteur ou l'auditeur à regarder au-delà de la mort.
En effet, elles annoncent la résurrection - donc le fait que le PROJET de DIEU CONTINUE, projet, non de mort, NON de sacrifice d'un fils, mais projet d'un royaume où la vie est possible, une vie digne. Le Christ mort et ressuscité est là pour aider à vivre…
L'homme Jésus ne nous invite pas à nous débarrasser de la culpabilité par un subterfuge qui consisterait à attribuer au Père la responsabilité du sacrifice du fils.
Et Dieu n'est pas ce Père jaloux d'un fils qui serait tenté de lui prendre sa place, il laisse, en bon père, le fils prendre toute la place qui lui revient.

Quel rapport avec la politique…? Lorsque Jésus invite à le suivre, il invite à l'engagement. Il s'agit d'abord de lui apporter un soutien concret. Il est avec les siens, dans la logique de la construction d'un " royaume " qui est censé rétablir la dignité humaine mise à mal.
A chacun d'interpréter l'invitation de Jésus dans le contexte d'aujourd'hui. Mais l'engagement est lié aux notions de justice, de compassion, on dirait aujourd'hui d'humanité, chères à Jésus. Un soutien politique apporté par un citoyen d'aujourd'hui à un représentant politique ne saurait donc jamais être inconditionnel !
Ceux que nous choisissons comme porteur d'une mission politique, nous leur devons fidélité, mais encore un regard critique.

 

Aujourd'hui donc, Vendredi-Saint, notre célébration de ce condamné à mort, Jésus, exécuté sur le Mont Golgotha près de Jérusalem, est un acte de foi. De cette foi qui n'a de réalité que parce qu'elle est vécue.

 

D. La foi de Dieu en notre capacité d'agir

Le croyant (protestant que je suis - mais d'autres peuvent raisonner de façon semblable) reconnaît en ce Jésus un être humain, comme vous et moi.
Un homme qui a placé toute sa confiance en Dieu et qui a pris ses responsabilités.
Ceux que cela gênait n'ont pas hésité à l'éliminer en le mettant sur la croix.
La croix est alors le symbole de l'échec.
Un échec qui tient du fait que les hommes défendent égoïstement leurs acquis, avant de penser à un avenir collectif que l'on construirait ensemble.
Jésus avait pourtant formulé ce qu'on appelle aujourd'hui un projet de société - un "royaume", à l'époque !

Si la mort de Jésus sur la croix consacre l'échec, elle n'est déjà plus échec, dès lors que nous nous souvenons de cet homme de Dieu et que nous nous interrogeons sur sa motivation et sa force. Sa foi devient contagieuse pour nous dès lors que nous nous laissons mettre en route par lui.
Nous confessons que Dieu, malgré tous nos manquements, se fait tellement proche de nous dans cet homme sur la croix, que l'avenir reste ouvert : la résurrection, c'est-à-dire la vie, est à l'horizon, justement là où on ne l'attendait pas - où on ne l'attendait plus.
Le monde, bonne création de Dieu, ne s'arrête pas à Golgotha. Le projet d'avenir esquissé par Jésus continue, avec tous les croyants de la terre pour qui la croix est, non pas un alibi pour ne rien faire, mais le signe de la présence de Dieu qui nous aime et nous aide.

La foi, peut-être, sert l'intelligence quand la sagesse abandonne l'intelligence et que la perversion s'en sert pour mettre à mort.

Il reste donc une ouverture possible, grâce à la foi.
Non pas la foi qui se met au service de l'instinct de mort, mais celle qui ouvre le chemin à la vie.
Qui rouvre une brèche d'espérance dans tous les murs de la honte.

Ernest Winstein

 

La question d'un possible " tombeau " de Jésus

(les découvertes de Talpiot)

 

A-t-on retrouvé le tombeau de Jésus ? (voir la synthèse présentée par N. Leroy-Mandart sur le blog http://unionprotlib.over-blog.com/article-7098951.html). La question suscite évidemment un intérêt passionné… Entre ceux qui rejettent d'emblée l'idée qu'un tel tombeau puisse exister et ceux qui en font une nouvelle certitude, l'espace du débat est possible. Il permet notamment de reprendre la question de la fin de la vie de Jésus et de son devenir au-delà de l'événement de la crucifixion.
Les documents de référence dont nous disposons habituellement, les écrits du Nouveau Testament, et qui sont d'une importance exceptionnelle, même si leur rédaction comporte nécessairement des réinterprétations postérieures aux événements, ne nous livrent pas quantité d'informations, mais quelques éléments qui permettent de mieux apprécier la question d'un tombeau de Jésus.

 

Le documentaire ne trouble pas l'approche biblique contemporaine

L'argumentation des réalisateurs du documentaire en faveur de l'existence d'un tombeau de Jésus prend appui sur la mention de l'évangile selon Matthieu d'une rumeur qu'avaient fait circuler les chefs religieux de Jérusalem pour expliquer que le tombeau fut vide : les disciples de Jésus auraient enlevé le corps. Et si les proches de Jésus lui avaient donné une sépulture provisoire pour le ramener, un an plus tard, dans l'ossuaire découvert à Talbiot, demandent les réalisateurs ? D'un point de vue historico-critique, cet échafaudage est extrêmement hasardeux… et exclut d'entrée de jeu l'hypothèse d'une vie de Jésus au-delà de la crucifixion sur le mont Golgotha qui est pourtant à la base de tout le christianisme.
La documentation sur le tombeau de Talbiot ici rassemblée mérite pourtant attention. Remarquons qu'elle ne met pas en question l'enseignement " de l'Eglise ", dans la mesure où celle-ci prend en compte les recherches théologiques qui nous permettent de mieux comprendre les interprétations et représentations, fortement chargées de symbolisme, des écrits bibliques.

Les formulations " dogmatiques " et l'histoire

Opérons un examen à reculons (dans le sens inverse de la chronologie) des indications disponibles, en partant de la question de l' " ascension " pour remonter à la condamnation et à la crucifixion. Et confronter les résultats de cet examen aux données de l'archéologie.

L'ascension (Actes 1) est depuis longtemps comprise comme un message adressé aux disciples ou, mieux, à certaines églises du monde de langue grecque de la fin du premier siècle, invitant à ne pas désespérer de l'absence de la personne du Christ et répondre aux questions que beaucoup ont dû se poser : Qu'est donc devenu Jésus ? Peut-on, près d'un siècle après sa naissance, envisager qu'il soit ressuscité et encore présent à la manière humaine ? La réponse du texte écrit par le médecin et évangéliste Luc dans Actes 1 est de dire : " Ne regardez pas le ciel, allez vous mettre vous-mêmes au travail ". On est alors dans les années 90 (1er siècle).
Et c'est encore de cette manière, à défaut de pouvoir rassembler de véritables " preuves ", que la résurrection est à comprendre : La résurrection s'accomplit, parce que les disciples continuent l'œuvre du maître.
Sur le plan des faits liés à la résurrection, notons les plus importants :
1. La constatation du tombeau vide (Marc 16).
2. L'annonce, dans le " kérygme " (le noyau de la proclamation, du message au sujet de Jésus) de l'église primitive, de la mort et de la résurrection de Jésus.
3. L'insistance des " récits " d'apparition sur une présence humaine de Jésus. Cette résurrection de Jésus n'est pas à confondre avec une résurrection future qu'envisage Jésus (nous serons comme les anges de Dieu) ou Paul (notre corps sera " spirituel "), mais d'une présence corporelle.
La théorie de l'enlèvement du corps de Jésus par les disciples, évoquée par l'évangile selon Matthieu comme étant une contre-propagande inventée par les grands-prêtres (Matth 28 v. 11 à 15), prise en compte par le documentaire sur les tombes de Talbiot comme un fait historique, appelle les remarques suivantes :
- la constatation du tombeau vide a fait, en son temps, et pendant longtemps, l'objet de vifs débats.
- l'interprétation de l'événement par les responsables juifs consiste à dire que Jésus était mort;
- il n'y a aucune preuve de cette mort, alors que les fidèles de Jésus annoncent qu'il est vivant.
Le documentaire présuppose qu'il était mort. Et l'est resté. C'est évidemment aller vite en besogne : l'on ne peut régler la question de la résurrection (ou de la non-mort de Jésus) en la niant, sur la base de l'affirmation attribuée aux chefs juifs comme si elle tenait lieu d'argument historique.

 

Tombeau de Jésus ?

Le tombeau de Talbiot rappelle les noms de personnes proches de Jésus. C'est probablement le seul argument qui milite vraiment en faveur d'un tombeau de Jésus.
Mais comment et pourquoi seraient-ils ainsi réunis ?

Rappelons que la tombe fournie par Joseph d'Arimathée était effectivement à Jérusalem. Il s'agit d'un tombeau digne d'une notabilité jérusalémite. Cette information livrée par les évangiles souligne l'importance que revêt le projet de Jésus aux yeux de personnalités influentes de Jérusalem (constatation que nous avons développée dans notre contribution sur le " projet politique de Jésus ", voir les " Annales " n° 4 de l'Union Protestante Libérale).
L'importance de Jésus, en tant qu'homme public, accueilli à Jérusalem comme messie-roi, puis condamné comme tel, et d'autre part, le fait que Jacques, le frère de Jésus, ait pris la direction de la communauté (juive) des fidèles de Jésus après la dislocation du groupe dirigeant des " douze ", puis des " trois " (Pierre, Jacques le disciple, et Jean), soulignent le caractère dynastique du rôle de Jésus, de sa personne et de sa famille.
Est-ce pour cette raison que les dépouilles mortelles de personnes proches de Jésus auraient été réunies ? On peut au moins poser la question.
La proximité de Marie-Madeleine avec Jésus est soulignée par tous les évangiles (voir notre texte sur Marie-Madeleine et le Da Vinci Code, http://unionprotlib.free.fr/5.html#mariem ). Il ne serait pas étonnant que Marie, la mère de Jésus, fût restée à Jérusalem. Mais jusqu'à quand ? Au moins jusqu'à l'exécution de son autre fils, Jacques, peut-on supposer.
Jacques serait justement le chaînon manquant dans cet ensemble. Or, il est le seul membre de la famille dont on peut penser avec quelque certitude qu'il fut enterré à Jérusalem.


De ces constatations et remarques découlent des questions :

- Jésus était-il vraiment mort sur la croix ?

La question a été posée et continue de l'être. Le récit de la passion ne manque pas de souligner que la mort de Jésus est intervenue rapidement, au point que Pilate même s'étonne qu'il soit déjà mort, au moment où Joseph d'Arimathée demande l'autorisation d'ensevelir. La question " était-il vraiment mort ? " se pose avec d'autant plus d'insistance que le tombeau, à la première visite effectuée par des témoins innocents, est vide. A supposer qu'il fut effectivement mort, quel eût été l'intérêt d'enlever le corps de Jésus ? En toute logique, affirmer qu'il est vivant, consiste à affirmer qu'il n'était pas mort !

- Qu'est devenu l'homme Jésus, corporellement " ressuscité " ?

Si Jésus, le " ressuscité ", connaît une véritable vie terrestre (et dans l'hypothèse contraire, il faudrait imaginer une sorte de fantôme circulant à travers les airs… !) après les événements difficiles, il n'a pas pu rester à Jérusalem pour des raisons évidentes de sécurité. D'après le témoignage de Paul (Saul de Tarse) on le retrouve sur le chemin de Damas. A-t-il été plus loin vers l'Est… - à Srinagard ?
Et s'il est mort ici ou ailleurs, hors de la Palestine, aurait-on rapatrié les ossements à Jérusalem ? Pour les rassembler à d'autres proches, morts où et quand ? Il sera pratiquement impossible de répondre avec quelque certitude.
On ne peut manquer d'évoquer un événement d'une importance capitale pour le peuple juif et les chrétiens de Palestine, la " guerre juive " (années 67 à 70) qui aboutit à la destruction de Jérusalem et du temple, aux massacres, à la dislocation ou l'exode de l'église judéo-chrétienne de Jérusalem. Il est bien possible que Jésus, toujours dans l'hypothèse d'une résurrection corporelle, n'était plus " en vie " à ce moment-là. Au-delà de cette guerre, restait-il à Jérusalem suffisamment de proches de Jésus pour rassembler ou rapatrier éventuellement les ossements de la famille ?

Quelques failles dans l'argumentation des réalisateurs du documentaire :

Le documentaire avance quelques arguments faciles qui enlèvent au sérieux que l'enquête présente par ailleurs. Citons notamment :
- La référence à la généalogie de Jésus d'après Luc, qui serait censé être celle de Marie, est purement fantaisiste.
- Si Jésus a pu avoir un ou des enfants, - avec Marie-Madeleine, pourquoi pas ? - pourquoi y aurait-il dans le tombeau les restes d'un enfant ? Dans quelles circonstances serait-il mort ?

Plus de clarté et un peu plus de courage

Enfin, nous sommes en droit d'attendre un peu plus de clarté sur l'ensemble de ce dossier que les réalisateurs ont le mérite d'avoir mis à la disposition du public. Ceux qui, pour des raisons parfois opposées, ont eu intérêt à étouffer la découverte, ont de leur côté à répondre à certaines questions :
- Pourquoi a-t-il fallu tant d'années et l'opiniâtreté de reporters pour faire sortir de l'ombre des pièces qui méritent tout de même attention ?
- A-t-on pris suffisamment de mesures pour que d'autres investigations scientifiques soient faites ?
D'une manière plus générale, nous constatons que le libre débat qui pourrait faire évoluer des positionnements dogmatiques gêne les institutions qui ont véhiculé leurs positions comme si elles étaient des vérités immuables. Au nom de la vérité, qu'ils aient un peu plus de courage !
Il nous faudra sans doute un temps d'attente pour en savoir plus sur les ossuaires de Talbiot...

L'humanité de Jésus et l'exemple de sa vie

Nous affirmons, quant à nous, la pleine humanité de Jésus et nous nous imprégnons de son exemple.
Des dogmes tomberaient-ils ? Il nous reste l'exemple de la foi de Jésus. Il nous reste son enseignement et l'exemple de son engagement :
Nous sommes invités à croire en un Dieu présent, source de notre force et de notre intelligence qui nous rendent capables de construire un vivre-ensemble où s'expriment à la fois la justice (sur le plan du grand maillage interhumain, relationnel, y compris sur le plan de ce que l'on appelle aujourd'hui l'organisation économique), mais aussi l'amour-charité qui regarde avec compassion l'humanité là où elle faillit ou souffre (ce que la justice a de la peine à faire à elle seule), et agit pour que cette humanité-là puisse être, elle aussi, une digne expression de la volonté créatrice de Dieu.
Considérons que dans cet ensemble, chacun est important, que cet ensemble n'existerait pas sans la richesse et la force de toutes les composantes particulières. Considérons que, sans les maillages de la société, de nos diverses communautés de vie et d'action, sans cette humanité qui se construit, le tout un chacun n'existerait pas.

Ernest Winstein.


 

Jésus et Marie-Madeleine

(ou... : Jésus avait-il un enfant ?)

A propos du... Da Vinci Code

Le roman de Dan Brown, hormis quelques contrevérités historiques ou géographiques, ne ferait pas scandale s'il ne posait la question " Jésus a-il eu un enfant avec Marie-Madeleine ?"

Qu'en dire ? Rien n'exclut, évidemment, que Jésus ait eu femme et… enfant ! Sur la question d'une éventuelle descendance de Jésus, nous n'avons aucun renseignement sérieux. En admettant qu'il en ait eu, pourquoi n'y a-t-il aucune mention dans les évangiles qui sont les documents les plus sérieux dont nous disposons? Certes, on pourrait mettre en avant le fait que la famille de Jésus était sous haute surveillance, et qu'il valait mieux qu'une descendance éventuelle fût cachée.

Marie-Madeleine (ou Marie de Magdala), elle, apparaît bien dans les évangiles ! Et plutôt en bonne place par rapport à Jésus. Elle est originaire du nord de la Palestine, précisément de Magdala, près de la Mer de Galilée. Il est faux de l'identifier à la femme riche qui oint la tête de Jésus d'un parfum précieux (Marc 14 v. 3) et qui semble être judéenne. Il est extrêmement hasardeux de la confondre avec la femme " pécheresse " de Luc (7 v. 36-38).
Marie de Magdala apparaît dans les récits des quatre évangiles comme témoin de la crucifixion - se tenant à distance de la croix chez Marc, au pied de la croix d'après Jean. Mais elle est aussi le premier des témoins du tombeau vide. Elle est la première des femmes nommées par la tradition " synoptique " (elles sont trois d'après le texte de Marc 16, deux en Matthieu 28 et deux en Luc 24). L'évangile selon Jean fait une belle place à Marie : Elle est dans l'intimité de Jésus " ressuscité " qu'elle confond d'abord avec le jardinier… (Jean 20 v. 15-16), puis l'appelle " rabbouni " (" mon maître ").
Il est donc évident qu'il y avait un lien privilégié entre Jésus et Marie. Pour le reste, la discrétion est assurée par les évangiles, elle n'apparaît qu'une fois en Luc 8,2 où il est évoqué que Jésus aurait fait sortir d'elle " sept démons "… !

Rappelons que la question de la divinité de Jésus ne s'est pas du tout posée dans les premiers temps !
Jésus a donc pu mener une vie de couple quasi " normale ". Tant mieux donc, si Dan Brown nous invite à considérer Jésus dans sa pleine humanité ! Il n'est évidemment pas nécessaire de tenir les produits de l'imagination du romancier pour des faits historiques…

Ernest Winstein

Note : Dans Jean 20,1-18 le rédacteur combine deux traditions, celle qui met en avant Marie et celle qui met scène " Pierre et l'autre disciple " L'expression spontanée de Marie-Madeleine au moment où elle reconnaît Jésus (" Rabbouni", mon maître) montre que l'on dispose là d'un bout de tradition ancienne, au milieu de l'ensemble composite du texte johannique sur le tombeau vide.

 

La force d'ouverture à l'inconnu

Par Gilbert Greiner, Pasteur

 

INTRODUCTION

" L'Inconnu… est assis au pas de nos portes.
Et Il nous inquiète.
Ainsi, nous préférons nous réfugier dans le Connu.
L'Au-delà - du Connu - est source d'angoisse…
Jusqu'à nous en faire perdre souffle et raison !
Le Christ en parlant de F.O.I. vient à notre rencontre (à la rencontre des angoissés d'aujourd'hui).
En thérapeute, Il nous invite à l'Ouverture et à l'Inconnu.
Sa parole s'accompagne d'une promesse :
Sa Force permettra la " Mise en route ".
Nous serons, tel Abraham Le Croyant, des " en-routés… ".
Que dire ? Ne croit pas qui veut bien et seulement " croire ".
Le " Credo " est une mise à l'eau, un baptême quotidien.
Une lutte contre l'Ange et l'Angoisse.
Faire partie de la Communauté du Christ, nous situe, à coup sûr Au-delà des sentiers battus… "
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Intervention en 7 points :

1. L'AU-DELA DE…
2. LE CONNU OU LES SENTIERS BATTUS
3. L'ANGOISSE
4. L'ERE DU REPLI COMMUNAUTAIRE
5. LA FOI COMME FORCE D'OUVERTURE A L'INCONNU
6. LE CHRIST S'EST LEVE EN PREMIER…
7. L'ESPRIT, FORCE D'OUVERTURE DE L'EGLISE

 

1. L'AU-DELA DE…

Le Professeur Gabriel VAHANIAN écrivait dans son ouvrage remarquable de 1996, La foi, une fois pour toute : "La foi n'est pas affaire d'ascendance ou de descendance, mais de transcendance ". Autrement dit d'au-delà, d'au-delà de…!
Et il ajoute, " C'est quand il est libre et sans précédent, libéré de sa propre religion que l'homme peut enfin croire en Dieu.

Par conséquent, ni Dieu, ni le Christ, ni l'Homme ne peuvent être figés ou cloués au passé et à ses croix ! Tous sont ailleurs, au-delà de…
En Christ, l'important, comme l'écrivait déjà l'évangéliste Jean, n'est pas ou plus de naître mais de re-naître (Jean 3,7). Cette dimension n'est de loin pas absente des écrits de l'ancienne Alliance. D'après Esaïe 6,13, YHWH projette de faire renaître une sainte postérité de son peuple.
Mais pour renaître, il nous faut savoir quitter nos vieilles outres personnelles (Luc 5, 37) de sorte que le vin de la vie ne se perde pas.
Les outres neuves nous attendent !
Et même, avec elles, le vin nouveau !
Car croire en Christ et avec lui nous met en face de la nouveauté et non pas des vieilleries du dé-passé.
En Christ, pas de " copier - coller " !
En Lui, nous ne saurions être des adorateurs de reliques qui elles appartiennent forcément au passé.
Or Celui qui est le Chemin (Jean 14,6) et le Pédagogue des Disciples d'Emmaüs d'aujourd'hui (Luc24, 1-35) nous invite à la Suivance, à l'Ouverture, à l'Horizon.
C'est parce - qu'elle se tourne vers son passé que la femme de Lot est transformée en colonne de sel (Genèse 19,26).
Si nous sommes stimulés à être " Sel de la terre ", c'est - sans doute - pour nous attaquer à cette colonne, celle qui cristallise en elle toutes les tendances passéistes.
C'est parce - que demain est devant la porte qu'il nous faut nous y attaquer à deux mains et rouler ses pierres des tombeaux anciens !
Les anges d'aujourd'hui, c'est nous.
Pareils aux juifs devant le tombeau de Lazare (Jean 11), en l'absence de créatures de lumière, c'est à nous de rouler les pierres et d'être porteurs de lumière.
Car contrairement aux idées reçues, il n'y a pas de serviteurs inutiles (Luc 17,10). Nous ne le sommes que si nous nous contentons d'appliquer des lois de régimes anciens.
Le Christ souligne - pour nous - vous êtes des serviteurs inutiles si vous vous contentez de faire ce que d'autres (de par le passé) vous ont demandé de faire !
Envisager le Royaume de l'Espérance avec ses conséquences éthiques est bel et bien de notre ressort.
Nous n'avons pas à accepter les mises à l'écart ou exclusions de la sphère publique. Jésus est mort hors du Temple et à l'écart de Jérusalem.
La sphère sacrale ou religieuse n'est pas notre seul lieu !

Au nom du Christ, il nous faut aller " au-delà de… "

2. LE CONNU OU LES SENTIERS BATTUS

Le Connu, les sentiers battus le Chrétien et l'Eglise sont invités au nom de l'Espérance en Christ à les dépasser. Le Connu est de l'ordre du passé, du dépassé, du " pas - assez ".
G. VAHANIAN écrit dans La foi, une fois pour toutes :
" Jésus rompt avec une religion qui consiste à fixer la foi par des formules toutes faites et la réduire à des idées reçues… Il échappe à ceux qui cernent la foi et la bloque du fait de l'emprise que seul le passé peut exercer…
La religion que récuse Jésus est une religion qui explique le présent par le passé, l'espérance par la mémoire.
Par une histoire. Qui, comme toute histoire, s'écrit au passé.
Et rend l'homme comptable de son passé, bien plutôt que devant l'avenir.
Pour un homme comptable de son passé, les choix sont déjà faits…
Conversion à l'avenir, la foi est au contraire axée sur le jour du Seigneur, sur l'ultime, sur l'eschatique. "
L'histoire du Peuple de l'ancienne Alliance est une histoire de routes, de sentiers, de passages.
D'Egypte à la destruction du Temple en passant par Babylone, le Peuple est en route…
Et de cet Ex-ode perpétuel, Moïse en est l'illustre figure du Passeur !
La Force l'habitant, il ouvre des passages là où il n'y avait que l'eau symbole de chaos et de mort.
Il ouvre à la nouveauté et à l'existence propre ce peuple de moins que rien !
Il le ressuscite du tombeau du Pharaon.
Il les libère des jardins de la mort du Despote.

? Mais le peuple a peur ! Le tyran est toujours là.
L'Angoisse est toujours présente et elle tyrannise.
Elle empêche de vivre ceux qu'elle étouffe tels les grains semés en terre (Matthieu 13). Ils voudraient s'épanouir mais ne le peuvent étant encore sous son emprise.

3. L'ANGOISSE

Jésus dans la barque (Marc 4,40) apostrophe sévèrement ses disciples en leur disant :
" Pourquoi avez-vous si peur ?
Vous n'avez pas encore de foi ? ".
Disant cela, il oppose la foi à la peur et nous invite à plus qu'une réflexion à ce sujet.
Pour être proche du vécu de nos contemporains, pour répondre à leur demande réelle, les communautés se référant au Christ se doivent d'écouter et d'entendre l'Angoisse profonde qui gagne de plus en plus nos cités.
Et pour échapper à l'Angoisse et à l'étouffement lié à toute situation de réduction d'horizon et de perspective existentielle, il serait sans doute opportun d'apporter un élément de salut en transformant l'architecture de nos villes génitrice de dépendances et de dépressions, en proposant d'ouvrir des champs nouveaux, d'accorder des perspectives sociales, de sortir du goulot d'étranglement ceux qui s'y trouvent.
Faut-il le redire, Jésus veut accorder du Souffle à ceux qui étouffent !
L'Esprit - Saint (qui souffle où il veut) se veut un bol d'air pour ceux qui en ont raz - le - bol !
Le récit vétéro - testamentaire parlant de la Lutte de Jacob avec l'ange avant la traversée du Jourdain pour une terre nouvelle résume cette lutte avec les freins en nous.
La lutte avec l'angoisse s'avère rude.
Il est difficile de quitter, d'abandonner, de devenir.
Tout semble nous retenir dans ce passage vers l'au-delà de nos Jourdain.
S. KIERKEGAARD (voir Crainte et Tremblement) avait sans doute raison de voir dans l'angoisse le problème fondamental de l'existence humaine.

Les freins personnels sont nombreux.
E. DREWERMANN, dans La parole qui guérit (entre autres p. 309 -327), propose de guérir de la peur en redécouvrant le monde négligé du sentiment, des images, des symboles.
Le domaine de la sensibilité avec ce qui peut y surgir : angoisse, sentiment de détresse, désespoir doit, d'après lui, reprendre sa bonne place dans la pratique pastorale et ecclésiale.
Dieu dit-il veut, par l'intermédiaire d'attitudes humaines, ouvrir des chemins nous permettant d'atteindre notre plein épanouissement.
? Par rapport à la mort - et l'Inconnue absolue qu'elle représente - il faut sans doute entrer dans la démarche d'E. DREWERMANN lorsqu'il comprend Gethsemani (Marc 14,33) et le Golgotha comme les moments extrêmes de l'Angoisse.
Jésus malgré son angoisse poussée à son intensité maximale continue à croire en Dieu.

Ce faisant, il est source de salut pour nous et est mort en premier.
Il nous devance et nous réconforte quant cette fin ultime dont la perspective nous angoisse à mort.

4. L'ERE DU REPLI COMMUNAUTAIRE

A côté des freins personnels, les freins communautaires sont légions.
Tels les israélites sortant d'Egypte nous sommes tentés de nous replier sur nous-mêmes, d'avoir le réflexe communautaire et passéiste.

Les Hébreux veulent réduire leur monde au connu, au définissable, à la sécurité alimentaire.
Comme si la vie se limitait à la viande, au pain et à la buccalité.
Quant à cette sécurité ego - centrée, Jésus s'exclame cherchez en premier le Royaume et sa Justice.
Le Royaume à venir n'est jamais de l'ordre du passé personnel, il est de l'ordre du futur communautaire.
? Les pots de viandes d'Egypte d'aujourd'hui touchent à l'histoire (passée), à la tradition, à la nostalgie, au folklore.
Or l'idée des pots de viandes selon Exode 16 est rejetée par " Celui qui a pour nom devenir " (Exode 3,14).
YHWH-Adonaï ne voit pas d'un bon œil que le peuple des en - routés veuille faire " marche arrière ".
S'il est un péché communautaire, il est là, dans cette tentative de refus de l'à - venir, de l'au - delà, de l'in - connu.
Israël est en train de se tromper de Dieu et de culte.
Israël sacralise ou idéalise son passé au Royaume de " Mizeraïm ".
Israël tente de vivre en vase clos.
Il préfère l'esclavage, l'amoindrissement, la négation de soi, à la liberté, la nouveauté, l'utopie !

? Israël, à force de tourner dans le désert de ces projections, de soi et d'ignorance de l'autre, finit par oublier la promesse d'une terre autre, d'une alter-territé.

5. LA FOI… FORCE D'OUVERTURE A L'INCONNU

Il y a croire et croire !

L'ambiguité vient de ce que le verbe croire peut s'employer dans deux sens différents.
Soit dans un sens déclaratif : " Je crois que… je tiens pour vrai une certaine déclaration… "
(* le croyant est " juge " : il tient pour vraie ! ! ! une proposition et peut se tromper. Le croyant à partir de ce qu'il " juge vrai " adopte un comportement éthique. )
Soit dans un sens performatif : " Je vous crois, je crois en vous, je crois en Dieu. ". Dans ce cas, la parole nous engage dans un lien de confiance à l'égard d'une autre personne.
On a là deux idées distinctes :
+ l'idée de croyance (opinion, idéologie, conviction…) et
+ l'idée de confiance qui s'oriente dans deux sens complémentaires :
* actif (avoir confiance) ou
* passif (être fiable)
L'Ouverture à l'Inconnu suppose le sens performatif du verbe " croire ".
C'est parce - que je fais confiance à Celui qui est fiable que j'ose m'ouvrir à l'Inconnu !

Le croyant peut " quitter ", comme Abraham son Père dans la foi, parce - que sa Confiance le libère de toutes les racines et de toutes les chaînes :
* du passé (pas - assez) et
* du présent (pesant).

D'Abraham à Talitha (la jeune fille), l'injonction à se lever nous concerne toutes et tous dans notre quotidien.
La foi qui n'invite (pas) à se lever est morte.

6. LE CHRIST S'EST LEVE EN PREMIER…

Le Christ a été levé dans les morts.
Il échappe au tombeau et au passé qu'il représente.
Le Christ ainsi échappe au conditionnel et au Connu.
Il n'est plus reconnu mais pris pour le Jardinier.
Il se fait l'Inconnu par excellence le Nouvel Adam en rupture avec le passé.
Celui qui échappe à toute tentative d'objetisation (religieuse ou autre), à toute dogmatisation passéiste.
Ainsi la foi en Christ " ressuscité " ne peut (bien évidemment) être que de l'ordre de l'événement pascal.
Nous ne saurions croire pour la forme, pour nos ancêtres dans la foi (chrétienne, voire protestante !)…

La F.O.I. fait de nous des " êtres pascal ", des êtres échappant à leur passé, leur prison, leur propre objetisation.
Croire signifie devenir " méconnaissable ", comme Jésus devient méconnaissable pour les gens de son village et de sa famille (Marc 3, 31-35).

7. L'ESPRIT : FORCE D'OUVERTURE DE L'EGLISE

Très tôt dans l'histoire de l'Eglise, à partir du IVe siècle, d'après P. MARAVAL, dans " Lieux saints et pèlerinages d'Orient ", la vénération des reliques des saints des origines a pris place dans la démarche religieuse des croyants.
La tendance à l'inventaire et l'invention de lieux théophaniques ne fait que traduire (ou trahir) cette tendance à vouloir adorer son nombril ou ses racines.
L'angoisse prend alors place au sein de nos liturgies et de nos offices.
Comme si le Maître des vents et des tempêtes
(Marc 4, 35-41) nous y invitait.
Le tombeau de la tradition pascale est - bien au contraire - largement vide des éléments qui pourraient servir à rendre un culte à celui qui était…
Ouvert, il ouvre en direction de la Galilée et du monde !
C'est là-bas dans le monde qu'il vient à la rencontre des siens à travers la Force de son Esprit.
Et ce Souffle épris d'avenir redit à son Eglise en attente " Effata " (" ouvre-toi ! "), afin que jamais elle ne cesse de s'ouvrir à cette force qui la transcende de l'Orient à l'Occident et d'un pôle à l'autre.

Quant l'in-connu qui est devant elle, elle n'a rien à craindre !
Quel que soient les évolutions du monde, ses tempêtes et ses bourrasques, l'essentiel de son message demeurera et survivra à travers le triptyque paulinien
" Foi - Amour - Espérance ".

Gilbert Greiner

 

Les ministères de l'église dans le Nouveau Testament

Par Ernest Winstein

 

Terminologie.
Lorsqu'on utilise le mot ministère, on parle des fonctions de responsabilité dans la conduite de la vie des communautés judéo-chrétiennes des premiers temps de l'Eglise (ou simplement "chrétiennes", vers la fin du 1er siècle).

Ministère.
Définition :
Du latin ministerium, le terme désigne le service (comme en allemand le mot Amt).
A partir de là, l'utilisation contemporaine du mot ministère appliqué à la fonction pastorale pose la question de savoir au service de qui se trouve le pasteur.


I. Les ministères dont l'église primitive a besoin

Dans les tout premiers temps, les chrétiens sont intégrés au judaïsme et participent à sa vie cultuelle.
Il est pourtant impératif pour les "adeptes" de Jésus de faire connaître (proclamer) :
- qui est Jésus ? (Prophète de l'ouverture du royaume nouveau, Christ (roi), serviteur souffrant,...)
- son enseignement (" apprenez-leur à garder ce que je vous ai prescrit ", Matthieu 28).

Si la proclamation au sujet de Jésus n'a pu être réglementée, elle était essentiellement question de foi (et donc de compréhension quant au rôle de Jésus). De là un fonctionnement plutôt anarchique des acteurs de cette proclamation que l'Eglise se mettra rapidement à canaliser (structuration des fonctions).
L'enseignement requiert des témoins sûrs. On souligne très vite l'importance de la tradition apostolique.
Au départ les chrétiens se comprennent comme le peuple d'un royaume dont l'avènement est imminent : L'église - ekklêsia - est la communauté des " appelés, des " saints ", des " élus " . "Adhérer" au Christ consiste à reconnaître que Dieu a choisi un peuple : l'élection constitue l'Eglise.
L'Eglise est d'abord un genre de "substitut" du royaume qui n'a pu être réalisé dans l'immédiat par le messie Jésus. Elle est la première manifestation du royaume " eschatologique ", projeté dans le futur.


II. Les ministères dans leur diversité

Les "douze" n'ont pas une fonction juridique, mais ils représentent l'Eglise en tant que vrai peuple des 12 tribus. (Mt 19,28). On ne sait pratiquement rien de leurs activités.
Lorsque Paul évoque les 3 "colonnes" de Jérusalem (Pierre, Jean et Jacques) dans Galates 2 (en parlant du Concile de Jérusalem) le cercle des " douze " est déjà disloqué.
Le titre d'apôtres leur est conféré plus tard - au cours de la 3ème génération (H. von Campenhausen)

Les apôtres : Le mot grec apostolos, issu du vocabulaire marin, évoque une expédition menée par une flotte. Il est utilisé dans le sens juif d'envoyé (shaliah). L'apôtre est en quelque sorte un fondé de pouvoir.
D'où les apôtres tiennent-ils leur autorité ? Du fait d'avoir été chargés de mission par le Christ "élevé". Il n'existe pas d'autre "installation" dans cette fonction (Conzelmann, Grundriss, p. 63 : "Die Bindung an ihren Auftrag verknüpft ihre Autorität mit dem Kerygma").
Plus tard, les apôtres seront considérés comme les garants de l'enseignement.
Mais la diversification se sera faite entre temps :
Les anciens sont cités dans Actes 15 et 16 avec les apôtres (mais le rapprochement est le fait d'un travail rédactionnel postérieur à la situation évoquée). Ils ont la charge de la proclamation (2è épître Clément 17,35). Les 24 anciens de l'Apocalypse (4,4) rappellent les 24 catégories de prêtres du judaïsme.
Le prophète : "parle aux hommes, les édifie, les exhorte, les console" (1Cor. 14,1).
Les enseignants (cf. le terme juif de "rabbi" appliqué à Jésus par les disciples), voir e. a. Actes 13,1 ; 1 Cor. 12,28s,... Il s'agit moins d'un titre que d'une fonction.
Les évêques : Episcopos, depuis Homère, signifie le surveillant, celui qui a le regard sur..., qui prend soin de.... ; les dieux sont considérés comme créateurs et surveillants.
Les anciens d'Ephèse sont aussi appelés évêques dans Actes 20,28 (discours de Paul aux anciens) : "Prenez garde à vous-mêmes et à tout le troupeau au sein duquel le Saint-Esprit vous a établis évêques pour faire paître l'Eglise de Dieu...". Paul cite les évêques avec les diacres, mais avant eux, dans Phil 1,1.
Les diacres, serviteurs à table (Actes 6), sont pourtant aussi " proclamateurs ", il suffit de rappeler la figure d'Etienne. Paul (Colossiens 1,23, Ephésiens 3,7) les appelle d'ailleurs "diacres de l'Evangile".
Les ministères d'après Paul : Le seul verset 28 de 1 Cor. 12 en fournit toute une liste : "Dieu a établi dans l'église premièrement des apôtres, deuxièmement des prophètes, troisièmement des docteurs (enseignants), ensuite, il y a des miracles, dons de guérir, secourir, gouverner, parler en langues".

Le ministère de Paul, vu par lui-même, a pour objet d'apporter une parole de révélation, de connaissance, de prophétie, d'enseignement (1 Cor. 14,6). Paul et Timothée sont aussi "douloi", serviteurs, esclaves de Jésus-Christ (Phillipiens 1,1).

Conclusion

Il n'y a pas de hiérarchie qui institue des ministères, mais un peuple élu qui s'organise et reconnaît, voire se donne, des ministères. Cette reconnaissance donne l'autorité nécessaire à ceux qui en sont chargés.
Le prêtre juif semble disparaître au profit de l'ancien. Les apôtres disparaissent très vite au profit des anciens, des diacres, des évêques. Les " anciens " font fonction de prédicateurs et sans doute d'administrateurs. Les prophètes constituent la seule catégorie juive conservée par les églises.
Le ministère le plus proche de celui du pasteur en paroisse d'aujourd'hui semble être celui d' "ancien " dans le sens d'évêque (Actes 20,28 : "faire paître le troupeau").
D'après Paul le "gouvernement" vient en queue de liste des ministères qu'il connaît, juste avant le " parler en langue ".

Nous constatons une extrême diversité des ministères, une certaine profusion même, leur adaptation en fonction de l'évolution, de la constitution en Eglise des adeptes du Christ, des contextes culturels, leur complémentarité. Voilà un bel encouragement à ne pas nous enfermer dans des catégories qui seraient immuables mais à faire preuve de souplesse et d'imagination !

Ernest Winstein
(mars 2006)

Eléments de bibliographie :
Hans Conzelmann, Grundriss der Théologie des Neuen Testaments, München, 1967. Traduction française : Théologie du Nouveau Testament, Paris et Genève, 1969.
H. Conzelmann et A. Lindemann, Guide pour l'étude du Nouveau Testament, trad. de l'allemand, Genève, 1999.
Etienne Trocmé, Quatre Evangiles, une seule foi, Paris, 2000.

 

Une foi à hauteur d'humain

par Roland STAUB


La question qui m'accompagne dans mon métier de pasteur et que j'adresse aux affirmations dogmatiques et au langage religieux est celle-ci : "Qu'est-ce que cela signifie pour moi, être humain ? Que peuvent faire ma raison et mon coeur avec ça? Que peuvent faire mes auditeurs avec ça ? Est-ce à la hauteur des humains que nous sommes ?" C'est pour moi le critère décisif.
Il y va de la crédibilité de la religion, de la crédibilité du Dieu dont je parle. C'est ce qui m'a amené à dire : je crois autrement que ce que j'ai parfois (souvent même) entendu ou lu.

Je vais évoquer quelques éléments de ma foi, de mon expérience de Dieu, de ce qui me porte parfois plus loin, m'encourage à vivre et à essayer de faire vivre. Important pour moi est que je ne suis pas seul sur ce chemin là. J'ai rencontré des compagnons qui posent des questions semblables aux miennes, qui partagent certaines révoltes, qui ont une image de Dieu parfois proche de la mienne, dont la réflexion m'interpelle. Compagnons d'hier et d'aujourd'hui, protestants, catholiques, agnostiques ou pour qui ces dénominations ne font pas sens, libres croyants, marginaux de la foi, questionneurs de la foi. Parmi eux aussi certains de mes auditeurs du dimanche, de ceux que je rencontre chez eux, dans la rue, à l'hôpital, en prison. Leur vie, telle qu'elle est, interroge la foi traditionnelle.
Je parle de quête, de chemin, d'image de Dieu. Comment parler autrement de ce qui est au-delà de ma finitude humaine?
Utile dans ma quête est la Bible. Utile n'est pas un terme réducteur. La Bible me sert et je ne pourrais me passer de son service, non parce que elle serait un a priori intouchable mais parce qu'elle est le livre des témoins. Cependant la Bible a ses limites et paradoxalement c'est ce qui lui donne, pour moi, toute sa valeur. Elle n'est pas LA PAROLE de Dieu. Elle est la parole d'hommes et de femmes qui disent avec leurs mots, leurs personnalités, leurs histoires, leurs conceptions du monde, leur foi. Ces limites donnent à l'auditeur, au lecteur, à sa sensibilité, son intelligence, toute sa place. Je sais bien qu'il y a aussi le témoignage intérieur du Saint - Esprit. Souvent on comprend cela comme s'il y avait une autre voix qui nous parlait, qui mettait les choses au point, qui clarifiait les obscurités. Comme s'il y avait à coté de Dieu et de Jésus une troisième personne autonome à qui l'on pourrait faire appel pour qu'elle intervienne, et qui interviendrait, en d'autres domaines, où elle veut et quand elle veut. (Ce qui permet de dire et de faire bien des choses et parfois n'importe quoi).

L'Esprit c'est ce souffle qui nous remet en mouvement, qui nous sort de nos temps de doute, de découragement, qui nous ouvre des horizons nouveaux, qui nous fait devenir créateur, recréateur de nos vies. Personnellement je préfère parler de l'esprit de Jésus ou de l'esprit de vie, cet esprit dans lequel Jésus agissait, vivait et dont il imprégnait les siens. Lire la Bible avec l'éclairage du Saint-Esprit c'est laisser cet esprit imprégner notre esprit humain. Si la parole que nous entendons et transmettons va dans la direction d'une plus grande confiance, ouvre à la responsabilité, si elle aide à vivre et pousse à faire vivre, alors je crois qu'il y a quelque chance que le souffle de Dieu n'y soit point absent.
Les limites de la Bible donne à l'homme toute sa place mais aussi à Dieu Elles me rappellent que la parole de Dieu est toujours au-delà de ce que je peux entendre ou dire. Elles m'évitent de faire de la Bible elle-même un dieu, une idole à laquelle je sacrifierais ma raison. Elles me rendent attentif à la difficulté qu'il y a à parler au nom de Dieu. Personne ne peut parler au nom d'un autre sans courir le risque de trahir sa parole, en tout cas pas, sans préciser les limites de son discours. Personne ne peut prétendre avoir le dernier mot au sujet de Dieu.

Il y a la Bible dans ma quête. Mais il y a aussi autre chose et parfois de façon plus immédiate.
Ce sont des personnes qui, certains jours, m'ont rendu le ciel plus proche. Ce qui caractérisait ces personnes c'était, avant tout, leur profonde humanité. Ce n'était pas des êtres parfaits. En cela déjà elles me rejoignaient. Leurs attitudes, leurs paroles, leurs écrits disaient l'attention à l'autre, le non jugement, surtout le non jugement, une bonté qui n'était pas doucereuse, qui les amenait parfois à dire des parole tranchantes pour aider à basculer du coté de la vie, une bonté qui précédait et qui était ultime, qui n'abandonnait pas même quand elle était au loin. Et puis, dans ma quête, il y a les ciels étoilés de certain soir d'été. Ils semblent me dire une présence qui m'enveloppe, me protège, petit homme que je suis dans l'immensité de l'univers. Il y a la douceur de certaines journées d'automne quand rien ne vient troubler la quiétude du coeur. Il y a des visages d'enfants, de femmes, profonds et lumineux. Il y a des livres, des musiques. Dans une des églises de ma paroisse il y a un tableau représentant Marie et l'enfant Jésus. Le regard de la femme est d'une douceur infinie. Il y a la lente maturation d'évènements. Il y a des fulgurances. Il y a bien des choses qui me font ressentir cette présence que j'appelle Dieu. Et puis, dans le même temps, il y a toutes les questions, les obscurités, les silences, les vides, souvent nés du tragique, du non-sens de tant de vies.
Il y a la présence de Dieu. Il y a son absence.

N'y a-t-il qu'un seul chemin?

C'est ce que semblent dire un certain nombre de passages de la Bible. ("Je suis le chemin, la vérité, la vie. Nul ne vient au Père que par moi". "Il n'y a pas d'autre nom par lequel nous sommes sauvés", par exemple).
A ces textes on pourrait en opposer d'autres qui disent que ce sont les actes qui sauvent (Mt. 25, Mt. 7, Ps.1, ...). Mais les passages qui donnent l'exclusivité au Christ existent et la liberté de les comprendre dans ce sens aussi. Cependant, j'ai la conviction qu'on peut, qu'il faut même, les comprendre autrement. D'abord, par rapport au statut de la Bible qui n'est pas un livre de vérités objectives. C'est, pour l'essentiel, un livre de foi, qui exprime ce que des personnes ressentent au profond d'elles-mêmes. Ce qui pour elles est vérité. D'autre part, il est très difficile, voir impossible de savoir ce que Jésus a dit exactement. Intéressant est le livre de Frédéric Amsler, professeur de
Nouveau Testament à Genève, "L'évangile inconnu". Il y présente le travail d'exégètes nord-américains et allemands qui ont essayé de retrouver la source "Q " (Quelle), cette collection de paroles de Jésus qui selon la plupart des exégètes, est une des bases des évangiles de Matthieu et de Luc. Ils l'ont fait de manière scientifique, avec les outils de la philologie en analysant, recoupant, comparant les textes. Frappant dans ce qu'ils ont retrouvé est qu'il n'y a pas d'allusions à la mort et à la résurrection de Jésus qui opéreraient le rachat des péchés des hommes ce qui allait devenir l'axe autour duquel tournera toute la théologie dominante. Ils ont retrouvé un Jésus humain, sans prétention à être le messie universel, qui ne demande pas que les hommes croient en lui, mais qu'ils mettent ses paroles en pratique. Un Jésus croyant en la possibilité d'un monde autre, un royaume de paix, de fraternité, de justice. Personnellement, je me sens proche de ce Jésus là qui dit l'amour inconditionnel de Dieu pour tous les humains, tous étant ses enfants, quelque soient leur passé, leur présent. C'est en ce sens que, pour moi, Jésus est chemin, vérité, vie. Cette vérité, rien n'empêche une personne ayant une autre religion, une autre sagesse, croyante ou non, de la vivre. J'aime bien ce qu'a dit Théodore Monod, le naturaliste protestant. Toutes les religions, dans ce qu'elles ont de meilleur, cherchent à atteindre le sommet. Chacune le fait par un autre sentier. Toutes finissent par se rejoindre. Pour Monod, le Jésus des Béatitudes, le Jésus qui engage sa vie pour le royaume de Dieu est le chemin. Mais il se savait un marcheur parmi d'autres. Un protestant parmi d'autres protestants. Un chrétien parmi d'autres chrétiens. Un croyant parmi des croyants de tous horizons.
Un humain cherchant à être toujours plus humain. "Et nous ne sommes qu'au début de l'hominisation" disait-il.

La mort et la résurrection de Jésus

J'ai souvent été frappé par le fait que beaucoup de personnes avaient une image très culpabilisante de l'église, de Dieu. Mais il suffit d'écouter les liturgies de nos cultes et pas seulement les anciennes. Ce sont des textes qui mettent souvent l'homme plus bas que terre, qui l'accusent de tous les maux, de lâcheté, de paresse, de vanité, de médiocrité, d'indignité, de toutes les trahisons ( ces mots se trouvent dans les textes). Quand vous avez entendu cela sous cette forme brute ou sous des formes plus diffuses mais qui n'en expriment pas moins un profond pessimisme envers l'homme, quand vous avez entendu que l'homme n'est rien mais que heureusement Dieu est là et que sa grâce nous sauve, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne nouvelle que vous entendez. "La grâce, ainsi prêchée, devient culpabilisante, traumatisante et aboutit à l'effet inverse de celui auquel elle devrait conduire", écrit
Laurent Gagnebin. " Le péché est-ce si important que cela ?" s'interrogeait Jacques Pohier.

Je crois à la force de la grâce de Dieu. Elle est force de vie pour moi. Je la retrouve dans l'attitude de Jésus, même dans la dureté, le tranchant de certaines de ses paroles. Mais elle n'accable pas l'homme. Jésus ne nie pas l 'importance du péché. Mais il voit d'abord dans ceux qu'il rencontre des êtres désemparés, angoissés, que la vie, les évènements ont abaissé, traumatisé, des êtres souffrants. Il les prend par la main pour les emmener hors du cercle meurtrier, les délivrer des poids qui les écrasent. Le Dieu de Jésus ne désespère pas de l'homme Il croit en ses possibilités. Alors d'où vient cette vision pessimiste qui entraîne ce sentiment de culpabilité ? Yves Edel, un psychiatre, avait un jour remarqué qu'il retrouvait souvent ce sentiment de culpabilité chez des personnes de confession protestante. Je me demande si la place de la CROIX, la mort de Jésus pour le salut des hommes (le Vendredi-Saint, sommet de l'année) n'en est pas une des causes. Je disais tout à l'heure que dans la source "Q" il n'était pas question de la mort et de la résurrection de Jésus en tant qu'évènements de salut. Ce qui veut dire, pour le moins, que ces " évènements" n'ont pas eu pour toutes les composantes du christianisme primitif la place qu'ils ont occupé par la suite dans la théologie dominante. Personnellement je me suis heurté, pendant longtemps, à cette idée que Dieu, pour sauver les hommes, pour pardonner leurs fautes, a dû envoyer son fils à la mort. J'éprouvais beaucoup de difficultés à prêcher le Vendredi-Saint. J'étais mal à l'aise avec les textes liturgiques, les cantiques proposés pour ce jour là. Il y avait pour moi une profonde contradiction entre le Dieu que Jésus me faisait découvrir dans les évangiles à travers sa façon d'être, la plupart de ses paroles et ce Dieu cruel qui demande le sacrifice de son fils. Important pour moi a été de découvrir qu'il était possible de comprendre la mort de Jésus autrement. Notamment grâce à André Gounelle, dont des articles et son livre, Le dynamisme créateur de Dieu, m'ont fait découvrir la théologie du Process. Pour John Coob, un des théologiens du Process, si Jésus a accepté la mort c'était pour ne pas trahir son combat contre l'inhumain. Les choses auraient pu tourner autrement. Il n'y avait pas de plan de Dieu. Jésus est mort comme sont mortes des milliers de personnes. Il est mort pour ses idées sur l'homme et sur Dieu. Dans ce sens il est mort pour les hommes comme il a vécu pour les hommes. Sa mort a été un échec pour Dieu. Mais un échec qui n'a pas été la fin. Dieu est celui qui ne se résigne pas, n'abandonne pas.
Dieu est cette force créatrice, recréatrice de vie. Cette force qui agit en Jésus et peut agir en chacun de nous. Cette manière de comprendre la mort de Jésus entraîne, entre autres conséquences, que Dieu ne peut pas tout, qu'il n'est pas tout- puissant. Cette idée m'est essentielle par rapport à la réalité de notre monde. Il y va de la crédibilité de la foi. Les affirmations de la foi ne sont crédibles que si elles s'enracinent dans nos expériences humaines. Un Dieu qui serait tout-puissant mais qui n'interviendrait pas dans les affaires de ce monde parce qu'il a créé l'homme libre comme le disent certains ou parce que notre prière ne serait pas assez croyante ou simplement parce qu'il est Dieu, donc en dehors de tout raisonnement humain, serait pour moi aux antipodes du Dieu de Jésus. Sa puissance est une puissance de persuasion qui amène l'homme à devenir le plus possible auteur de sa vie, qui remet debout des hommes que les circonstances de la vie ont abaissés, qui ouvre des horizons à ceux qui sont barrés par le quotidien. C'est le Dieu de la douceur divine dont parle Maurice Bellet.
"Cette douceur ferme, paternelle et maternante. Elle veut la vie, le sain et le sauf. Elle redresse le tordu, rafraîchit le brûlant, réchauffe le glacé, dénoue le noeud d'angoisse, éveille ce qui est mort".

Pour moi Pâques ce n'est pas tant un évènement qui se serait passé un lendemain de Sabbat à Jérusalem. Ce n'est pas très important ce qui s'y est passé ou même qu'il ne s'y soit rien passé. Pâques c'est à chaque fois qu'au lieu de rester à regarder en arrière et de courir le risque de rester figé comme la femme de Lot, une présence, une force m'entraîne vers demain. Cette force je la puise dans la vie de Jésus, dans l'esprit qui l'a animé. La résurrection est centrale pour moi mais autrement que dans la compréhension habituelle. Jésus était un ressuscité avant sa mort, quelqu'un qui vivait debout, quelqu'un que le vent de l'adversité pouvait faire plier, douter, entrer dans la nuit mais pas définitivement anéantir.

Ma prière

Jésus n'est pas Dieu. Il est homme, habité d'une confiance, lié comme peut- être aucun autre homme à celui qu'il appelait Père et par là libéré de toute autre puissance. Ce qui fait que je peux lui donner le titre de christ, celui qui me révèle de manière très forte quelque chose de celui que j'appelle Dieu. Mais cela n'empêche pas qu'il y ait du christique en d'autres personnes, connues ou anonymes, en chacun de nous. Ceci a comme conséquence que le destinataire de mes prières n'est jamais Jésus. Cependant, je peux , sans problèmes, me joindre à une personne ou un groupe qui s'adresserait au Christ; Ce qui sera important pour moi à ce moment là c'est ce que mon coeur ressentira, partagera, de la joie, de l'espérance, de la peur, de la souffrance de ces personnes. La parole, celle qui parle en vérité est toujours au-delà des mots. Ma prière n'est pas un devoir. Je crois qu'on a fait beaucoup de torts à la prière avec des injonctions du genre- il faut prier. Pas de foi sans prière. La prière ne peut-être que liberté, de parler ou de se taire. Je peux encourager à la prière, encourager à se dire devant Dieu, mais avec toute la retenue, tout le discernement nécessaire pour ne pas m'immiscer dans l'intime de l'autre. J'invite rarement une assemblée à dire ensemble une confession de foi. Quand je le fais j'indique toujours clairement que chacun est totalement libre de se taire s'il ne se retrouve pas dans ces paroles.
La prière d'intercession. Prier pour quelqu'un, le porter dans la prière, crier à Dieu pour un autre dans une profonde solidarité, je le fais sans réserves. Mais la prière d'intercession qui demanderait à Dieu ceci ou cela (une guérison, par exemple, - oh ! je comprends cette prière, ce cri, cela a déjà été le mien) cela reviendrait à faire de Dieu une sorte de magicien qui agirait selon son bon ou son mauvais vouloir. Je ne crois pas aux miracles si on leur attribue ce sens là. Les seuls miracles c'est ceux que nous faisons, animés par la confiance, la force de vie qui était en Jésus. Il croyait en l'humain, en ses capacités. Cette foi là peut être contagieuse.
Voilà quelques réflexions sur ma foi d'aujourd'hui qui n'est plus celle de hier et sans doute pas tout à fait celle de demain. La foi naît, change, meurt parfois, de la rencontre, de la confrontation à l'épreuve de la vie.

L'essentiel (Maurice Bellet)

" C'est ce qui s'entend du fond de l'abîme de tristesse. C'est un je ne sais quoi, comme une parole d'enfant, un air chanté à bouche fermée au bord de la mer, la très douce et intime tendresse de la chambre close, l'ardeur au combat, quand le combat est par delà la guerre, contre la faim, l'injustice, la détresse. C'est quand nous sommes proche de tout homme, du plus pauvre, du plus délaissé. C'est quand nous ne jugeons personne".

Staub Roland, 1er février 2005 à Strasbourg-Robertsau

 

 

Dossier biblique

Jésus, fils de Joseph et de Marie

par Ernest Winstein

 “ Du temps de l’empereur César Auguste… ”, c'est ainsi que commence, dans "l'Evangile selon Luc", la présentation de l'événement qui est à l'origine de la fête de Noël.

Le “ temps de César Auguste ” était aussi le temps où, sur la rive gauche du Rhin vivaient peut-être encore des tribus celtiques, peut-être déjà des Germains venus de l’Est. Bien plus tard, on se mit à compter les années depuis le temps où, en Palestine, un certain Jésus, “ fils de Joseph ” et “ de Marie ”, vit le jour.

 

Ben Youssef

   Le premier titre qui lui fût donné s’énonça certainement ainsi : “ Yeschouah ben Yousef ”, Jésus fils de Joseph. Dès lors qu’il venait à parcourir son pays, il devint Jésus “ de Nazareth ” pour ceux qui le rencontraient et ne connaissaient ni Joseph, ni Marie, mais la ville qui l’avait vu grandir. Tout naturellement, des habitants de Nazareth qui l’entendront lire et interpréter le prophète Esaïe s’étonneront  : “ N’est-ce pas là le fils de Joseph ? ”  (Luc 4,22) 1).

   L'évangéliste Matthieu l’appelle “ le fils du charpentier ” (Matthieu 13, 55) 2). C’est Jean qui présente avec le plus de naturel Jésus comme “ fils de Joseph ” : Philippe, qui va annoncer à Nathanaël avoir trouvé celui dont parlent les écritures, s’exclame en disant qu’il s’agit de  “ Jésus de Nazareth, fils de Joseph ” (Jean 1,45). Jean fait encore dire aux Juifs qui murmurent au sujet de l’enseignement de Jésus portant précisément sur les rapports entre le Père et le Fils : “ Celui-ci n’est-il pas Jésus, le fils de Joseph, lui dont nous connaissons le père et la mère ? ”. L’évangéliste Jean ajoute cette mention pour marquer que Jésus, dans le rôle de “ Fils ” du “ Père ”, est bien né d’une filiation humaine.

Etait-il bien de Joseph… ?

   Le doute nous vient du fait que les évangiles de Luc et de  Matthieu, écrits aux environs des années 85 à 90, nous parlent de la naissance de Jésus comme du résultat d’un engendrement direct de Jésus par Dieu – engendré par l’Esprit saint, c’est-à-dire Dieu (Matthieu, chapitre 1 et Luc chapitres 1 et 2).
   Dans la secte juive des esséniens (les manuscrits de la Mer Morte en témoignent) se trouvait développée l’idée que le messie attendu pouvait n’avoir ni père, ni mère, - tel Melchisédek, le roi de Salem (Jérusalem) qui rencontra Abraham, (dans l’Ancien Testament  en Genèse 14, 12-20 et Psaume 110,4). Il suffisait pour les chrétiens de reprendre cette idée à leur compte -  à moins qu’elle ne fut apportée par des esséniens convertis à la foi au “ messie ” Jésus. L’épître aux Hébreux, qui date à peu près de la même époque que Matthieu et Luc, présente, en effet, une tradition très proche de celle de la naissance “ virginale ” : Jésus est appelé “ prêtre … à la manière de Melchisédek ” (Epître aux Hébreux 5,6 ; 5,10 ; 11,17), “qui n’a ni père, ni mère ” 3).
   Nous dirons donc, mais que chacun se sente libre de ses convictions : Jésus est né de Marie et, certainement de Joseph, ses frères et sœurs étaient connus dans l’entourage de Jésus – l’un d’eux, Jacques, deviendra chef de l’église de Jérusalem.
 

L’évangile de l’enfance : une interprétation de l’événement Jésus de Nazareth

   Les premiers chrétiens ne s’étaient guère intéressés à la naissance de Jésus : L’évangile le plus ancien, Marc, (on situe sa rédaction entre 55 et 70) n’en parle pas et commence par évoquer Jean-Baptiste pour présenter ensuite le récit du baptême de Jésus (adulte) par Jean et l’appel des premiers disciples.

   Les textes sur la naissance virginale, nettement plus tardifs, interprètent l’événement Jésus de Nazareth. En somme, ils nous apportent une confession de foi des chrétiens (de certains chrétiens, du moins) des années 80-90, disant que la naissance de Jésus fait partie d’une sorte de plan de Dieu. Certes, dès que les chrétiens avancent et multiplient ce genre d’interprétation, les contradictions s’accumulent : Si ce fut le plan de Dieu de sauver ou de rétablir Israël dans son intégrité de peuple élu et libre, il faut bien constater que le résultat en est un échec, à moins de renvoyer la réalisation de ce plan à “ plus tard ”, - un report qui dure depuis deux mille ans ! Par contre, le message des textes demeure : Voyez comme Dieu vous est proche !
 

La datation de la naissance de Jésus

   Le messie devait bien, pour certains juifs, naître à Bethléhem. On sait aussi aujourd’hui que l’événement de la naissance de Jésus se situe quelques 4 à 6 ans avant l’année fixée comme étant la “ première ” (d’après les recherches sérieuses faites en la matière). L’incertitude est encore plus grande quant au jour de l’année et l’on sait que les églises orientales ont gardé l’épiphanie comme jour anniversaire. Le rôle de la lumière renaissante dans les fêtes pré-chrétiennes ainsi remplacées par Noël est évident dans le choix porté sur le 25 décembre.

   Mais si le doute est justifié à propos de la date, n’est-ce pas à l’avantage de l’importance de Jésus pour nous ? Qu’il est bon de pouvoir penser que chaque jour de l’année peut être celui de la naissance de Jésus, si nous voyons en lui ce témoin privilégié parmi les hommes porteurs de la présence de Dieu !

Jésus est-il né à Bethléhem ?

   Quant au lieu, il paraissait simplement logique, vers la fin du 1er siècle, que le messie soit à l’image du roi David, originaire de Bethléhem. Quoi de plus tentant donc de le faire naître à Bethléhem ! Rappelons que  Luc rapporte un déplacement de Joseph et de Marie de Nazareth vers Bethléhem. Dans l’évangile selon Matthieu, qui est légèrement postérieur à Luc, l’itinéraire est exactement inverse ! Matthieu suppose connue l’information au sujet de la naissance de Jésus à Bethléhem et, après avoir montré que les mages rendent hommage au vrai roi à Bethléhem, évoque une fuite en Egypte, pour  nous dire qu’après ces péripéties Joseph et sa famille viennent s’installer à Nazareth en Galilée (Matthieu chap. 2).

   Mais, en nous basant sur les données de l’évangile le plus ancien (Marc), nous constatons que la “ patrie ” de Jésus est  Nazareth et la Galilée. Si l’idée d’une naissance à Bethléhem avait été présente dès le début dans la tradition au sujet de Jésus on en trouverait mention dans les textes les plus anciens. Et alors, Jésus aurait pu être appelé “ de Bethléhem ” plutôt que “ de Nazareth. 4) Si, donc, une naissance à Bethléhem paraît tenir de la légende venant au secours de la démonstration du caractère royal de Jésus, la question des antécédents davidiques de Jésus peut être examinée séparément. La fiabilité des arbres généalogiques de Matthieu chap. 1 et de Luc 2 n’est pas très grande. Mais l’attribution à Jésus d’un rôle messianique n’est pas une invention postérieure. Jésus a bien été considéré comme messie (christ), c’est justement le motif de la condamnation que le procureur romain Pilate fait inscrire sur la croix. Certes, lorsque nous passons du témoignage de Marc à celui de Matthieu, nous constatons que la tradition au sujet de Jésus évolue dans le sens d’un renforcement du caractère royal, “ davidique ”, de sa personne.  On peut se demander si  la famille, et non seulement Jésus,  n’avait pas quelque prétention au “trône”... ? Le fait que Jacques, frère de Jésus, ait pris  la tête de l’église de Jérusalem, a depuis longtemps conduit les spécialistes des Evangiles à considérer la famille de Jésus comme influente et parler d’un “ christianisme dynastique ” 4). Jésus peut donc bien être un descendant de David, à condition que Joseph soit le père - sinon il y aurait rupture de la chaîne royale !

   Mais il est surtout intéressant de constater qu’une des branches du christianisme ancien a fortement souligné le caractère messianique, royal de Jésus – ce qui explique la vigueur d’une foi en un retour du Christ. Une autre branche, représentée par l'évangile selon Jean, a développé des “ confessions de foi ” à charge plus symbolique : Jean parle de “ lumière du monde ”, de “ bon berger ”, de “ chemin ”, et l’image d’un Jésus grand-prêtre gagne sur celle d’un christ-roi. Et le Christ “élevé” revient sous forme de “consolateur” (encore appelé "paraclet").

Déjà, à la fin du 1er siècle, la foi est très différenciée suivant l’église dans laquelle la tradition au sujet de Jésus a évolué.

Conclusion : un Jésus plus humain, donc plus proche

   Ceux qui cherchent des vérités historiques absolument sûres risquent d’être déçus. Mais les textes constituant l’ “ évangile de l’enfance ”  nous parleront si nous les considérons pour ce qu’ils sont : des confessions de foi de la fin du 1er siècle. Ils vont alors nous inviter à développer notre propre confession de foi. 

   Nous fêtons donc un roi sans couronne et sans état civil précis ? N’en est-il pas mieux ainsi ? Pour qui ne veut pas retomber dans le polythéisme, le Seigneur, l’unique, reste Dieu. Et Jésus, reprenant sa place parmi les humains, nous devient d’autant plus proche : Ami ? Frère ? Maître ? Exemple de vie ? L’important sera de trouver en lui, et par lui, ce qui nous aide à vivre.

Ernest Winstein

Notes :
1) Luc garde probablement la forme primitive de ce verset que Marc présente ainsi, supprimant Joseph : “ N’est-ce pas le charpentier, le fils de Marie et le frère de Jacques, de Josès, de Jude et de Simon ? ” (Marc 6,3).
2) Matthieu (chap.13 v. 55) ne nomme pas Joseph dans ce passage, et suit donc Marc, mais transforme le nom de Josès, le frère de Jésus, en Joseph.
3) Tout le chapitre 7 de l’épître aux Hébreux cherche à démontrer que Jésus est un “ autre prêtre, dans la ligne de Melchisédek “ (7,11) qui “ n’accède pas à la prêtrise en vertu d’une loi de filiation humaine ” (7,16). Melchisédek est considéré comme “ prêtre pour l’éternité ”, et n’ayant “ ni père, ni mère ” et se trouve ainsi “ assimilé au fils de Dieu ” (7,3 – à rapprocher de l’annonce “ Il sera appelé fils du Très-Haut ” dans Luc 1,32). Un des manuscrits de la Mer Morte, l’Apocryphe de la Genèse, découvert dans la grotte 1, présente explicitement Melchisédek comme “ prêtre du Très-Haut ”.  Remarquons que Marie n’est pas évoquée dans la lettre aux  Hébreux.
4) Voir, e. a., Maurice Goguel, La naissance du christianisme, Paris, 1955, pp. 129ss.
 

D'après un article publié dans « L'Ami - Der Gottesfreund » n° 272 décembre 2001 pp. 4-5

 

Jésus, le messie,
fondateur, malgré lui, d'une nouvelle religion

Ernest Winstein

Il ne s'était pas levé, tout d'abord, pour "sauver" la terre entière…
Jésus, d'après l'évangéliste Marc (1), est d'abord un "prophète". Il est convaincu que Dieu n'a pas abandonné son peuple, malgré les siècles difficiles qui le séparent du temps glorieux de la royauté de David et Salomon. Dans le sillage de Jean, le baptiste, qui appelle ses contemporains à " revenir " (c'est le sens que nous donnons au mot conversion) vers Dieu, Jésus les invite à se préparer à accueillir le royaume de Dieu (Marc 1, 15 : " …le royaume de Dieu est proche ").
Ouvert à Dieu et aux hommes
Rapidement, dans son ouvrage, Marc en vient à indiquer que l'homme de Nazareth a une relation privilégiée avec Dieu : C'est pour lui que Dieu "ouvre" les cieux (2). Autre marque de la présence de Dieu, l'esprit, dont beaucoup pensaient que Dieu avait privé son peuple à cause de son infidélité, vient sur lui (3). Pour Marc, ce Jésus est bien le chargé de mission de Dieu, le prophète, même plus qu'un prophète : un messie (christ, en grec) (4). Il partage cette confession de foi avec la communauté des fidèles adeptes de Jésus.
Que dirait l'historien au sujet de cette personnalité palestinienne sortie de l'ordinaire en ces premiers temps de la présence romaine ? Jésus s'est fait remarquer très vite en Galilée, et certainement au-delà de cette province du nord de la Palestine. Il est l'enseignant d'une école - le maître (rabbi), autour duquel gravitent des élèves, que l'évangéliste, suivant en cela la tradition dans laquelle il puise ses informations, nomme justement " disciples " (5). Il est aussi guérisseur - le nombre important de récits qui évoquent cette activité en témoigne - parmi d'autres guérisseurs de l'époque, il est vrai.
Jésus donne, par son action et son enseignement, l'exemple d'une vie ouverte à la fois à Dieu et aux prochains :
- Ouverte au Dieu qui "vient" pour établir un royaume que l'on espère fait de justice , celle-là même que demande Dieu à ses fidèles du peuple élu ;
- Ouverte aux "prochains", particulièrement à ceux qui sont marginalisés et ceux qui se trouvent en situation difficile. Dans le royaume attendu chacun est censé pouvoir vivre une vie digne d'enfant de Dieu.

Jésus dans le rôle de " Christ "

C'est ainsi que Jésus suscite auprès de très nombreux contemporains un espoir de changement. Mais comment ce royaume peut-il advenir, alors que les Romains détiennent le pouvoir militaire et un pouvoir administratif et judiciaire partagé partiellement avec le grand-prêtre et le sanhédrin ? Saura-t-on jamais vraiment quelle fut l'idée de Jésus à ce sujet ?
Lorsqu'il entre à Jérusalem, il est sur le point d'endosser la fonction de messie (" christ "). Une foule l'acclame… Ce n'est pas un hasard : il est attendu. L'accueil est celle d'un roi. Jésus laisse faire. Les choses paraissent même très organisées. Visiblement, bien d'autres que les disciples sont au courant de son arrivée. Il y a là ceux qui avaient prévu de mettre à disposition l'ânon sur lequel Jésus va s'asseoir, marquant l'accomplissement de la prophétie annonçant des temps nouveaux et l'arrivée d'un messie. Il y a ceux qui ont préparé les branches de palmier, ceux qui sont venus chanter à la gloire du Dieu qui " vient " en l'homme messianique ainsi accueilli. Il y a ceux qui vont conduire les disciples vers la " chambre haute " où Jésus prendra la pâque avec ses disciples.
Jésus n'est pas, ici, considéré comme " le fils unique " de Dieu - certains textes le diront plus tard. Il est, certes, fils de Dieu dans le sens où sa mission exprime la volonté de Dieu. Mais tous ceux qui " font la volonté de Dieu " sont appelés frères par Jésus (Marc 3 v. 35), ils sont donc fils de Dieu ! La tradition reprend le titre de " fils de l'Homme ", susceptible d'être attribué à un personnage choisi par Dieu pour une mission royale.

Comment une charge messianique peut-elle se concrétiser ?

Si Jésus est un messie-prêtre, il va entrer en concurrence avec le grand-prêtre de Jérusalem. S'il est un messie-roi, il se pose la question de la présence romaine : composer avec elle, ou la chasser. Les contacts de Jésus avec les " autorités " étaient beaucoup plus avancés que cela n'apparaît à première vue - à moins de penser que Jésus fut un naïf qui s'est jeté dans la gueule du loup ! Quelques indices nous indiquent que Jésus bénéficiait de soutiens au sanhédrin. Le récit du flacon de parfum (Marc 14), montre qu'une femme issue de milieux influents faisait partie d'un cercle proche. Certains disciples s'étaient déjà vus au "gouvernement" - l'un à droite, l'autre à gauche… . Visiblement, les disciples, ou d'autres gardes étaient armés (voir en Matthieu 26 v. 51-52 : " un de ceux qui étaient avec Jésus " coupe l'oreille du serviteur du grand-prêtre).

L'échec …provisoire

L'action de Jésus à Jérusalem devait-elle aboutir à un acte suffisamment fort pour convaincre les pouvoirs à envisager une nouvelle perspective " politique " ? Une acclamation du messie Jésus par la foule ? Une adhésion du sanhédrin, se soumettant au verdict populaire ? Une oreille attentive de la part du gouverneur romain - soucieux de ne pas verser le sang inutilement, peut-être le sien ? On ne le saura jamais de manière sûre. Car les événements ne vont pas suivre la logique prévue.
Les opposants, qui devaient être nombreux, trouvèrent une possibilité inespérée de mettre la main sur lui : la trahison de Judas. Le sanhédrin (cour de justice juive) avait-il finalement pris les devants en faisant arrêter Jésus ? C'est ce qu'affirme la tradition du " récit de la passion ". Toujours est-il que Jésus est condamné par le pouvoir romain, pour un motif politique : celui d'avoir voulu être "Christ", un messie, donc un concurrent pour le ponce romain, mais aussi pour l'autorité religieuse juive, dont le pouvoir est certes limité. Jésus subit le supplice romain de la crucifixion.

La nouvelle voie

Après l'effondrement du projet, tout le monde n'a pas rendu les "armes". Très vite, des disciples se regroupent et… continuent : il reviendrait, pensaient-ils - ou il est encore là (ressuscité)… Quelque temps plus tard, Jacques dit le Juste, dans le temple de Jérusalem, demande assidûment à Dieu de faire advenir son royaume. On sait que cette espérance est aussi partagée très vite par les juifs de la "diaspora" (les juifs vivant hors Palestine), dont certains reviennent à Jérusalem, - où il y avait des synagogue des juifs "grecs" (voir Actes 6 v. 9). Ce sont eux qui vont être les plus actifs pour porter le message d'espérance hors de la Palestine.
Très vite, des païens, prosélytes (candidats au judaïsme) d'abord, vont entrer dans le peuple de l'alliance.
Le royaume n'arrivant pas, le personnage de Jésus devient une figure de plus en plus symbolique - symbole de Dieu qui est venu, qui vient et qui viendra. Le Christ, qui était censé être le personnage royal pour un peuple bien précis, le peuple juif, devient progressivement une figure plus spirituelle (8) - le royaume sera même considéré par l'évangéliste Jean qui transforma ainsi l'enseignement de Jésus, comme n'étant "pas de ce monde" (Jean 18 v. 36)! Il deviendra une figure sacrificielle pour d'autres : il aurait été offert (mais, notons-le, ce serait Dieu qui se l'offrirait à lui-même !!) pour nos péchés. Puis, prend l'allure d'une figure quasi divine.

Le projet de Jésus pour son peuple devient un projet pour le monde

L'église va se considérer comme l'héritière du peuple d'Israël, lorsqu'aux alentours des années 85 à 90 les chrétiens seront rejetés par le pouvoir religieux pharisien qui avait succédé aux sadducéens après la "Guerre Juive" (9). Elle se considérera comme le peuple bénéficiaire du royaume qui viendrait - bientôt, ou un jour de la "fin des temps".
Une nouvelle religion était née. Lui fallait-il un prince, fut-il absent corporellement, mais présent spirituellement ? Elle a Jésus, le Christ.
Jésus n'avait pas fondé de nouvelle religion. Mais les choses se sont passées ainsi : il est devenu malgré lui, et a posteriori, le fondateur du christianisme.
Quelle est alors la vocation de ce christianisme ? On a donné à cette question de multiples réponses. Nous pensons que la principale est d'appeler à un vivre-ensemble qui laisse ouvert l'avenir du monde, et permette à tous de vivre de manière digne - la plus digne possible ! Dans cette perspective, les chrétiens ne se contenteront pas d'être de " doux rêveurs ", mais s'appliqueront à être " sel de la terre " et " lumière du monde ", sans oublier que tout ce qui paraît acquis peut à tout moment être remis en question et que l'homme est bien capable de se barrer à lui-même la route des lendemains.

Ernest Winstein, mars 2005

Notes :
1. Marc nous a laissé l'évangile le plus ancien, dont une première édition remonterait aux années cinquante du premier siècle.
2. " Il vit les cieux s'ouvrir " (Marc 1 v. 10).
3. Littéralement : il voit l'esprit descendre sur lui - Dieu vient vers lui ou en lui (1 v. 10).
4. C'est au milieu de l'évangile, avec la confession de Pierre à Césarée, qu'apparaît le mot " christ " (Marc 8, 29).
5. En principe, un disciple a choisi d'écouter le maître. Jean semble garder trace de ce choix que font les disciples : certains quittent le maître Jean pour aller chez Jésus -voir Jean 1 v. 35ss), contrairement à Marc et ses parallèles où Jésus choisit les quatre premiers disciples.
6. Le " magnificat ", chant messianique de louange mis dans la bouche de Marie, illustre bien cette attente - voir Luc 1,50 à 55.
7. les fils de Zébédée, Jacques et Jean, en Marc 10 v. 35-37.
8. cf. Jean 15 v. 26 : Il reviendra sous forme d'esprit : " je vous enverrai le paraclet (le consolateur) que je vous enverrai de la part de Dieu, l'Esprit de vérité… ".
9. Après l'année 70 - la révolte des juifs s'étant soldée par une catastrophe, noyant la révolte dans le sang et laissant des ruines, dont le temple de Jérusalem.
D'après un article publié dans « L'Ami - Der Gottesfreund » n° 285 mars 2005 pp. 3-4


 


Jésus, l'homme, mon maître, mon frère...

 

Si je cherche à me souvenir qui, dans l'entourage qui fût le bain humain de ma jeunesse, m'a particulièrement marqué - jadis, et peut-être pour la vie -, je pense immanquablement à mon parrain.
Pourquoi donc mon parrain ? Peut-être parce qu'il savait entrer en relation avec moi, communiquer, et qu'il manifestait ainsi l'importance que j'avais à ses yeux...
Plus tard, j'ai su qu'il avait aussi ses faiblesses. Je n'ai pourtant pas cessé de l'admirer et, à mes yeux, sa dignité ne s'en trouva pas affectée. Si, par la suite, les occasions de rencontre ou de partage d'idées furent plutôt rares, mon parrain resta pour moi une sorte de référence.

Référence.

Est-ce que Jésus nous sert de référence ? Je me pose la question, à moi, en premier. Je constate que, malgré la difficulté à cerner le personnage dans sa réalité historique, Jésus est devenu "mon maître" à penser - faut-il dire "mon Seigneur" ? Je n'ai cessé de découvrir, au fil de mes questionnements sur l'évangile, de mes études de théologie, de mon travail pastoral, la profondeur et l'humanité de sa personne !
J'ai découvert un homme animé d'un extraordinaire courage - absolument éloigné du personnage mou, sans volonté, sans personnalité que décrit "La dernière tentation du Christ", le film qui a fait tant de bruit pour rien en son temps. Sa foi extraordinaire n'ajouta qu'à sa force de caractère et le contact sans détours qu'il eut avec ses contemporains m'a toujours paru exemplaire.
Jésus a su réunir autour de lui une équipe d'hommes dévoués. Certes, il y avait parmi eux un futur traître, mais comment savoir ?
Dévoués, ses disciples ? Oui, mais non dépendants, ni dépourvus de caractère. Hommes, le maître les regardait et les prenait tels qu'ils étaient, avec leur personnalité, leur force, leurs faiblesses. Ce regard les considérait ; ils prirent de l'importance et leur vie davantage de consistance. Il était le maître respecté, aimé donc, d'une certaine manière, parfois critiqué aussi... Ni pour eux, les disciples, ni pour moi, il n'était et n'est le seigneur despotique qui demanderait une soumission aveugle ; ni le gourou exigeant de ses adeptes une sorte de dévouement maladif.

Jésus m'a aidé à me situer face à Dieu et, dans ce face à face, à prendre mes responsabilités.
Aujourd'hui comme hier, il m'invite à croire davantage à la liberté offerte par Dieu qu'en des préceptes qui nous emprisonneraient. Lorsque ses proches nous rappellent son souci pour les pauvres - ce travail d'aide qu'on ne connaît qu'au hasard des faits rapportés par les évangiles - comment pourrais-je ne pas me sentir encouragé à collaborer à la construction d'une société plus conviviale et d'une justice meilleure... Pour lui un nouveau royaume était possible.

La foi en la vie

Voilà que cet homme extraordinaire aura fini en situation d'échec... - mais les fruits de ce qu'il avait semé restaient acquis pour la postérité ! Son extraordinaire force de conviction, sa foi en la vie - en Dieu ! - deviennent pour moi, pour nous exemplaires. Il nous invite à croire en ce que nous faisons. A croire, comme lui, au bonheur sans rêver, à une justice supérieure - sans illusion. A secourir celui dont la place et la dignité se trouvent menacés.
Admiratif, je me sens invité à me faire serviteur de son dessein royal. Tant qu'un rayon de lumière m'indique que je ne me suis pas trompé de chemin.

Ernest Winstein
(d'après un texte publié dans "L'Ami / Der Gottesfreund" n° 269 mai 2001)